Le paon de trop
Un jour de grand vent un paon atterrit dans ma cour. À ma grande stupeur ce paon ne faisait pas le paon. Il volait de l’aile gauche et sautillait de la patte droite, comme blessé.
Quand je voulus l’approcher il mobilisa toute son énergie pour me fuir. Mais la claudication du volatile me sembla tellement ridicule que je fus pris d’un fou rire qu’il n’apprécia guère. Il fit volte-face et d’un air furibard me fit front. Mon rire redoubla à la vue de cet oiseau peu commun, défiguré en plus d’un bec de lièvre.
Je criai pour l’effrayer mais rien n’y fit. L’ œil teigneux, dans un élan boiteux, j’eus juste le temps de faire un pas de côté pour éviter la collision. L’emplumé empoté se prit le peuplier, moi plié je ne pus éprouver que de la pitié envers le dépité.
J’en fis part à mon voisin garde-chasse qui voyant la disgrâce de mon clandestin se désista de toute approche amicale, estimant sans doute que cet oiseau de malheur portait la poisse. Je me faisais une autre idée d’un garde-chasse, bref !
La peur commença à me gagner.
Et s’il était l’oiseau de mauvais augure en personne tout du moins en gallinacé !
j’ouvris le portail en grand dans l’espoir qu’il s’enfuit à tire d’une aile, mais non, j’eus beau le caillasser, lui titiller l’aigrette à l’aide d’une badine, rien ni fit !
Il se tapit sous le perron de la maison, ses petits yeux mi clos me frissonnèrent la peau de chair de poule.
C’est alors que j’eus une idée !
Je me souvins d’une image improbable il y a bien longtemps chez un ami férus d’oignon et d’andouille. Alors que j’attendais poliment sur le paillasson dans l’odeur délicate du mélange nommée ci dessus, coincée sous le vide poche, une photo m’intrigua. J’eus juste le temps d’apercevoir l’héroïne du conte des Grimm, la Blanche Neige affublée d’un paon.Je mis ça sur l’extravagance de cet ami et du mélange de ses addictions pétulantes car de mémoire ce conte n’a jamais mentionné de paon.
A la nuit tombée, je m’introduisis dans le jardin du garde-chasse, qui comme par hasard est collectionneur de nains et de leur Sainte Patronne, Blanche. Il fallait la jouer fine car le Dédé est tellement fier de ses figurines qu’il les éclaire comme en plein jour. Je rampai jusqu’à la belle froidure et tout à coup je compris la passion de Dédé. Madame Neige était chaude comme la braise.
À peine avais je effleuré la chaudasse qu’une sirène retentit.
Sur ce, une plume effleura ma joue et paf, je vous le donne en mille, le paon ! Et ce cri, Seigneur, il vagit les plumes en érection, pathétique hésitant, aveuglé d’amour par cette alarme anti-pénétration.
Dédé fou de rage, la bave aux lèvres, armé jusqu’aux dents pointa son fusil, et pan, le paon !
C’est peu de dire que le pauvre oiseau avait du plomb dans l’aile.
Un feu d’artifice de plumes s’éparpillèrent sous le halo de lumière, Blanche Neige crut à des flocons, elle mit en route son système de chauffage d’appoint qui donna vie aux sept nains qui d’un pas cadencé chantèrent « Ali, alo, ala…. » chant allemand cher à Dédé notre garde-chasse gardien de cœur de sa belle. Dédé était en état de grâce, le miracle s’était produit.
Je souris à Dédé feignant le soulagement, je le remerciai vivement et m’éclipsa.
Demain, je porterai plainte contre la secrétaire de mairie à qui j’ai signalé l’intrusion d’un paon dans ma cour. Elle eut l’air gêné voire sournois, l’œil rieur….
Demain, il sera trop tard.
Elle n’était autre que la fille de l’ami à l’image grotesque, petite traumatisée par trop d’oignons, trop d’andouilles, trop de paons…
La secrétaire aura passé sa voiture au karcher à l’éléphant bleu.
Merci Alain.
23 novembre 2018 – Textes courts – Marie Batllo