Pain grillé
Pain grillé
La lueur du jour naissant donnait aux quais d’Auxerre une atmosphère inhabituelle. A moins que… ? Son attention s’éveilla. Non, ce n’était pas la lumière. Quelque chose avait vraiment changé. Mais quoi ?
Elle regarda le radio réveil ; il n’affichait rien. Il faisait jour ; enfin il y avait de la lumière mais en regardant le ciel, elle ne vit aucune trace du soleil. Le ciel semblait clair. En vérité, il avait une drôle de teinte. Ni bleu, ni gris. Une sorte de lueur blafarde, un peu comme une fumée d’usine chimique, peu épaisse et tirant sur l’orangé.
Les sens en alerte, elle s’aperçut qu’elle n’entendait rien. Un silence inquiétant. Pas le moindre chant d’oiseau, de bruissement de feuilles, de voix humaines, de moteurs. Et puis de quelque côté qu’elle tournât le regard, elle ne vit personne dans les rues. Aucune odeur non plus si ce n’est un léger parfum de… pain grillé.
Elle sentit l’angoisse l’envahir. Sortir de chez elle. Tâcher de comprendre ce qui s’était passé plus tôt parce que, maintenant, elle avait l’impression qu’il ne se passait plus rien. Comme si toute vie avait disparu. Et qu’elle était la seule… survivante.
Elle dévala les escaliers. Comme elle s’apprêtait à ouvrir la porte de l’immeuble, une pensée inquiétante, encore une, lui traversa l’esprit : et si la couleur bizarre du ciel était due à un nuage toxique. Après tout, elle n’avait pas ouvert sa fenêtre. Évidemment ça n’expliquerait pas cette absence de tout ! En y réfléchissant, elle n’avait vu aucune trace de vie mais pas non plus de cadavres.
Et toujours cette odeur de pain grillé ! Ça virait à l’absurde. Comment vider une ville de tous ses habitants, animaux compris ? Transformer le ciel en coton orangé ? Et diffuser un parfum de pain grillé ? Qui et pourquoi ?
Elle tourna lentement la poignée, veillant à ne pas faire de bruit. Rien ! Étonnant pour une porte qui émettait d’habitude un miaulement de chat en rut. Elle passa la tête par l’entrebâillement, jeta un regard dehors: personne. Elle passa le seuil, s’avança dans la rue. Un frisson lui parcourut la colonne vertébrale : elle s’aperçut qu’elle était encore en pyjama.
Elle découvrit alors une autre anomalie : elle n’avait plus d’ombre… pourquoi son esprit s’attardait-il sur une tel détail dans un moment pareil ? N’avait-il vraiment pas d’autres priorités ? Mais que sa silhouette disparaisse alors que de toute évidence, il y avait de la lumière, ça la dérangeait.
Ses déplacements ne produisaient aucun bruit pas même un petit frottement de tissu, un léger claquement de pied. Et en dehors d’elle, rien ne bougeait : pas de papier ni de poussière qui volaient, de rideau qui frémissait. Pourtant toutes les fenêtres étaient ouvertes ; ça aussi c’était surprenant : si tout le monde était parti, il avait fallu que ce fût très rapide pour que personne ne songea à les fermer.
Tout cela était complètement stupide. Qu’est-ce que c’était que ces histoires de pain grillé, d’ombre disparue et de fenêtres pas fermées ? Elle devait trouver de l’aide, un signe de quelqu’un ou même de quelque chose mais non, elle courait après son ombre, cherchait un diffuseur de parfum « Pain grillé » et voulait fermer des fenêtres !
En touchant le mur, elle se rendit compte qu’elle ne sentait rien. Elle résuma les derniers événements : pas de bruit, rien de visiblement vivant autour d’elle, pas de sensation au toucher, une légère odeur de pain grillé. Il ne restait que le goût à tester même si dans tout ce délire environnant, ça n’avait que peu d’importance. Elle entra dans une boulangerie, attrapa un croissant et entreprit de le manger. Rien, aucun goût même pas de carton ou de polystyrène.
Que se passait-il ? Tout ça était flippant. Et puis elle se rendit compte qu’elle respirait de plus en plus difficilement… Le nuage orange était à retardement… Non c’était juste l’angoisse. Se poser et réfléchir.
Elle était en train de s’asseoir sur son canapé alors qu’elle se pensait debout dans la rue ! Et si sa tête se maintenait encore dans le brouillard, sa respiration revenait, le visage enfin débarrassé de l’oreiller. Ouvrir les yeux lui fut compliqué tellement elle les pensait déjà ouverts. Enfin son cerveau se remit en route…
Terminées, les nuits entières devant une série dystopique ! Pour se retrouver le lendemain matin vautrée sur le canapé, la bouche pâteuse parce que le vin blanc c’est peut-être chic à la télé mais beaucoup moins après le septième ou huitième verre. Et à cette heure-ci une seule chose demeure mystérieuse bien qu’agréablement positive : l’odeur de pain grillé qui vient de la cuisine.
« Café, thé ou chocolat, Chérie ? » demande la voisine qui a visiblement mieux tenu la distance puisqu’elle prépare le petit déjeuner.
« Chérie ? »Tiens, elle avait dû louper un épisode…
Marianne