Dénanisation
Consigne +logo-rallye : Le soir du 20 mars, en sortant les poubelles, Jeannine Bergamasque buta contre un nain mort, couché en travers du trottoir.
Encore un ? C’est le troisième nain cette semaine !
Et elle le mit comme les autres dans le container. Cette campagne de dénanisation avait peut-être du bon, mais rien n’était prévu pour le nettoyage, à part le bon vouloir des personnes de taille normale. On aurait peut-être dû faire comme les indiens, les embobiner avec des discours sur la différence et la paix, et les réduire dans des réserves.
Car enfin, l’attrait indiscutable du fait de se retrouver entre personnes de même taille pouvait intéresser autant les normales que les autres. Elle avait donc voté non au référendum de 67 qui avait vu le oui l’emporter pour la solution radicale. Mais elle ramassait, comme ceux qui avaient voté oui. Cela lui rappelait un verset de la bible, mais lequel ? En principe elle la connaissait sur le bout du doigt et cette amnésie lui sembla inquiétante. Toute sa vision du bonheur s’en trouvait altérée. Si elle ne pouvait plus s’appuyer sur les textes saints pour ramasser ses nains tranquillement chaque matin, où allait-on ? Et si ces troubles de mémoire avaient un rapport avec les produits dénanisants, répandus par avion dans l’environnement ? C’est ce qu’elle inscrivit dans son journal intime le soir même, se demandant s’il n’y avait pas du nain en elle, que ces produits détruiraient… Jeannine Bergamasque s’interrogea : sa Bible était-elle une petit bible ? Ses idées de petites idées et ses ténèbres de petites ténèbres ?
Si demain il y avait encore un nain mort sur le trottoir, elle l’y laisserait sans regret. Surtout pas de petits regrets, ou alors autant sauter soi-même dans la poubelle.
20 mars 2018 – Textes courts – Jean Marie Tremblay