à Gérald
Je suis sortie de l’hôpital un lundi matin.
Je m’étais arrangée pour que la transition entre l’hôpital psychiatrique et le milieu commun soit la plus douce possible.
Mes calculs servent les tentatives au retour à l’ordinaire inaccessible du piteux sensible mortel que je fuis.
Revenir, toujours revenir de peur d’y rester.
Je n’en reviens pas de me maintenir à la surface du cloaque, les narines à fleur d’eau, je respire encore.
Le petit déjeuner avalé, les papiers de sortie signés, je saluais mes compagnons de larmes et de peur, de rires insensés sensés désarmés cette saleté court cicuité, mes compagnons de corps prisonniers, camisolée de chimie avariée.
L’extérieur m’aspirait contre ma volonté, « pour mon bien ». Mes pieds allaient refouler le pavé indigeste de la réalité.
Une infirmière, la veille m’avait consolée:
« Allez, Marie, c’est pas la mort du p’tit cheval, vous pouvez nous appeler quand vous voulez. »
Quelle ironie, justement, à ce moment précis, j’aurais préféré être un cheval, un appaloosa d’une tribu cheyenne, puissant, libre et sauvage : je lui fis part de cette coïncidence.
Apparemment elle ne prit pas au sérieux ma remarque, n’est pas fou qui veut.
Qui peut comprendre, c’est tellement insensé, de préférer une chambre isolée, neutre, cadenassée de tempêtes écervelées, qui peut comprendre l’errance de l’esprit incivilisé, qui peut comprendre les maux contrits coupables de ne plus sourire à la vie, de préférer la pluie au soleil, de préférer le jour hivernal aux soirées d’été interminables enivrées de terrasses, d’épaules nues et d’effluves de mer en terres inconnues. Comment se justifier?
Je longeais le mur crépi de chagrin, je franchis le portail le regard égaré, je cherchais des yeux une main, une paume où me pelotonner.
J’essayais d’accrocher les visages inconnus derrière les pare brises bleutés.
L’indifférence affichée à mon endroit mésestimait la frayeur de l’enfant redevenu.
J’avançais en funambule déséquilibré jusqu’à l’entrée de l’hôpital de jour certifié, contrôlé d’ateliers aux pas cadencés au rythme de nos possibilités.
Épuisée, je m’assois entourée de sourires accrochés.
J’appris éberlué, choqué, attristé, paniqué que Gérald 25 ans s’était suicidé juste après le petit déjeuner.
C’est pas la mort du p’tit ch’val Gérald!
20 mai 2016 – Nouvelles – Marie Batllo