Le triomphe du jeune Boniface
Le triomphe du jeune Boniface
Dire qu’il était fier, n’était rien à côté de cet air conquérant qu’il arborait en entrant dans le village. Il rayonnait et sa jeunesse l’auréolait d’une aura invincible. Il se sentait indestructible, touché par la grâce divine et à la limite du statut d’immortel.
Les villageois sortaient sur le pas de leur porte et le regardait avancer. Il était beau à voir. Il suscitait l’envie, le désir d’être si jeune et en pleine possession de ses moyens. Les hommes se sentaient vieux et ternes, comparé à cette allure athlétique. Les femmes affichaient leur plus beau sourire et espéraient attirer son regard. Certaines jeunes filles lissaient leur robe, gonflaient leur chevelure et se rehaussaient pour mettre en valeur leur silhouette. Seules les plus hardies oseraient le regarder dans les yeux. Même les enfants s’attroupaient et venaient voir ce qui pouvait ainsi redonner vie à leur village.
Tel le saint, dont il portait le nom, il marchait au milieu d’une population qu’il ne connaissait pas. Il savait que son arrivée entraînerait des réactions. Depuis, qu’il avait mis le pied sur ce sol, ses idées reçues avaient disparu. Pour lui aussi, c’était une découverte. Il se demandait souvent si ses parents ou ses proches le croirait à son retour. Il avait l’impression d’être un conquistador. Il comprenait enfin la signification du mot connaissance. Avant, il ne savait rien, sa vie suivait un rythme indolent. Aujourd’hui, il prenait possession du temps. Il entrait dans l’histoire. Ce n’était pas son intelligence ou ses qualités qui faisaient de lui cet héros des temps modernes. C’était sa force, sa soif de vivre et son espoir dans les lendemains qui l’avait porté là. Il n’en était pas conscient mais il incarnait l’avenir conquérant.
Certains lui avaient dit qu’autrefois, un marquis de Toscane qui se prénommait comme lui avait fondé une ville. Fier de sa création, il l’avait nommé comme lui ou presque : Bonifacio. Aujourd’hui, il comprenait cette audace et le besoin de laisser son empreinte.
Sur la plage, il n’avait pas tremblé, il n’en avait pas eu le temps. Il n’avait été qu’instinct et vivacité. Il ne savait pas pourquoi les balles l’avaient épargné au milieu des autres. Il ne voulait pas se le demander, le doute aurait anéanti ses chances. Il avait choisi d’avancer, de ne penser à rien, juste de mettre ses sens en éveil pour réussir la mission dont il était un pion.
Lui, le métis de Martinique, il était là. Il venait défendre ses ancêtres gaulois. Il croyait en la déclaration des Droits de l’homme. Il délivrait la Métropole avec ses frères d’arme. Après des mois d’entraînement, il incarnait la France conquérante en terre normande.
Le jeune Boniface, descendant d’esclaves, était un héros. Il traversait une France qui avait failli. Chaque village révélait cette faiblesse. Les Français n’étaient pas tous riches. Beaucoup semblaient de simples gens, des travailleurs et des fermiers comme lui et les siens. Son triomphe était là, dans cette révélation d’une unité.
Alors, oui, Boniface faisait un triomphe dans chaque lieu traversé car son engagement permettait à tous d’être libre.
2016 – Nouvelles – Emmanuelle Dal Pan