Vieux métiers disparus de mon village
Aujourd’hui, Fleury la Vallée n’a plus rien de comparable avec le village de mon enfance ; parfois il me paraît endormi, un peu triste malgré ses maisons rénovées et ses bâtiments communaux qui ont fait toilette ; silencieux la plupart du temps, il est à certaines heures, traversé par des voitures pressées, des camions de livraison, des tracteurs qui tirent d’énormes remorques se rendant aux champs pour les récoltes ; les enfants ne jouent plus dans les rues, ne vont plus à l’école à pied.
Quand j’étais jeune élève, j’avais un court chemin à parcourir pour me rendre à « l’école de filles » de l’époque (devenue maintenant la mairie) mais le trajet avait son charme : au tournant de la rue, un « coiffeur-hommes », ancien combattant de la guerre 14-18 qu’on apercevait se déplaçant tout bancal sur sa jambe de bois ; puis le monument aux morts toujours bien fleuri nous enseignait sa page d’histoire avec la longue liste de ses morts aux noms gravés dans la pierre ; plus loin, le « marchand de miel » ; un sobre petit atelier d’apiculteur éveillait notre curiosité ; la boucherie-charcuterie et son abattoir attenant où les bêtes allaient à la mort avant d’être débitées en énormes quartiers de viande conservés dans des chambres froides ; presque en face de l’école, le ferblantier et son bric-à-brac côtoyait le forgeron.
La forge ouvrait ses portes sur la rue ; à l’intérieur, tout m’y semblait noir, redoutable, dantesque ! Quand il était au travail, le forgeron attirait les regards des enfants ; sur un brasier tout rouge, il maintenait,grâce à des tenailles à longs manches,les pièces qu’il allait ensuite marteler sur l’enclume avec son lourd marteau ; la ferraille prenait des formes variées selon les besoins : barres solides de différentes formes, cercles pour protéger les roues des tombereaux et charrettes, socs de charrues, fers pour les chevaux ; en même temps il activait un énorme soufflet qui ravivait les braises tout le temps que durait le travail de mise en forme ; le soufflet de forge ronflant à pleins poumons, le marteau qui battait l’enclume, les étincelles jaillissant en gerbes au-dessus du brasier, c’était un spectacle grandiose, un concert assourdissant et inquiétant pour nos oreilles d’enfants ; le forgeron épongeait son visage en sueur et ses bras nus exposés à la chaleur intense qu’il devait supporter au cours de son pénible travail ; il était d’une habileté extraordinaire acquise tout au long de sa carrière et répétait souvent « c’est en forgeant qu’on devient forgeron ! »
Il était aussi maréchal-ferrant ; dans les années 30, les chevaux, tracteurs vivants de l’époque , aidaient les nombreux cultivateurs ; ceux-ci possédaient tous un, voire deux chevaux habitués aux labours des champs et des vignes, aux transports des récoltes : foins, céréales, betteraves et pommes de terre, vendanges, fruits et légumes pour les habitants de la ferme et les animaux ; les terres parfois éloignées et de petite superficie avant le remembrement, nécessitaient des déplacements sur des routes siliceuses ou des chemins défoncés d’ornières dans lesquels les chevaux pouvaient endommager leurs sabots surtout s’ils perdaient leurs fers ; le passage chez le maréchal-ferrant devenait indispensable ; il fallait examiner les sabots, les protéger, enlever l’excédent de corne avec de vrais instruments de spécialiste ; le cheval n’était pas toujours facile à amadouer, mais le propriétaire de la bête prêtait main forte au maréchal, heureusement ; venait alors le moment de chauffer le fer à rouge, de l’ajuster, percer les trous pour les clous, le retravailler parfois avant de le fixer au sabot ; alors se répandait dans le voisinage la forte odeur de corne brûlée ; quand le maréchal-ferrant pratiquait l’essayage, on savait qu’il « posait des semelles », qu’un cheval se faisait ferrer ! Travail physique aux gestes fatigants surtout quand il n’y avait pas de « travail à ferrer », c’est à dire de bâti qui entravait le cheval à l’aide de sangles. Ce n’était pas le cas de notre jument Bichette qui se laissait faire calmement, toujours en confiance quand mon père lui parlait à l’oreille. Brave Bichette, elle en a usé des fers sur les routes de campagne quand elle partait en tournée !
Quelquefois, le long des routes ou sur les chemins conduisant dans les champs, nous trouvions un fer perdu, usé, nous le rapportions à la maison et l’accrochions au mur de l’écurie ou de la grange après l’avoir nettoyé ; il paraît que ça porte bonheur !
Aujourd’hui, plus de chevaux au village ; les deux forges du pays sont devenues des habitations ; rien ne fait penser à ces métiers disparus et à ces hommes courageux qui n’ont jamais su ce qu’était une retraite , ni même quelques jours de vacances !
01 juin 2015 – Fragments – Marité G.