La guigne !
Il arrive le temps des cerises ! Il rappelle bien des souvenirs ! Enfants, nous allions faire la cueillette ; c’était une de nos tâches pendant les vacances scolaires ; nos parents, eux, n’avaient pas de « congés payés »; à la campagne, « on n’était pas payé à ne rien faire « , quelle idée !
Quand les guignes étaient mûres, nous grimpions sur « la montagne » en passant par les petits sentiers traversant un bois de pins. En haut, à la Combe, c’était « notre vigne « et en bordure du chemin, emprunté par les charrettes, c’était « notre guignier », énorme, garni de fruits rouges, presque noirs et juteux. Les oiseaux en avaient déjà profité, de même que les agriculteurs qui s’arrêtaient au bon endroit, histoire de se rafraîchir !
Par l’échelle appuyée au tronc, mon frère aîné grimpait très haut dans le cerisier et à cheval sur une « bonne branche », remplissait son panier astucieusement fixé à l’arbre par un crochet de bois « fait main » ; le deuxième frangin faisait de même à l’étage inférieur ; les estomacs se gavaient plus vite que les paniers et on ne crachait pas toujours les noyaux ! En bas, je recueillais les petites branches bien garnies que me lançaient mes frères, ( c’était pourtant une interdiction paternelle )et j’en détachais les fruits « avec leur queue »( autre consigne de cueillette ). Nos visages et nos mains, parfois les chemises ou le corsage, prenaient de la couleur !
La récolte terminée, les fruits étaient transformés en confiture, en gâteaux, en conserves…
L’opération confiture durait plusieurs jours ; je me souviens surtout des conserves de l’époque : il fallait nettoyer de façon impeccable d’épaisses bouteilles vert foncé, inusables (elles avaient déjà servi pour le vin ). Et, pendant des heures, on équeutait les cerises, et on les enfilait une à une dans les bouteilles, et on tassait les fruits en cognant le fond de la bouteille sur un épais torchon, et on versait une ou deux cuillerées de sucre par un cornet de papier, et, enfin, le bouche-bouteille fonctionnait ! Par précaution, le bouchon était retenu par une sorte de petite muselière métallique ( comme pour le Champagne ). Attention ! Les queues n’étaient jamais jetées ! Séchées elles faisaient les tisanes diurétiques réputées, pour tout le quartier !
Le stérilisateur ? une grande lessiveuse en zinc installée sur un poêle à bois dans la « chambre du four » ; on calait les bouteilles avec du foin ; le tout baignait dans l’eau et on mettait à bouillir un « certain temps ». Après refroidissement, on sortait les bouteilles dans lesquelles les fruits avaient diminué de volume ; parfois il y avait de la casse ; la réserve restait quand même abondante et assurait quelques savoureux desserts pour l’hiver : guignes de « La Combe », dans leur jus bien rouge, avec biscuit de Savoie maison … Un régal …
Plus tard, on a apprécié les bocaux à large ouverture, vous vous en doutez !…
Mais…il y a eu le remembrement : la vigne a été arrachée, le guignier a été coupé ; restent des petits cerisiers sauvages bien connus de quelques descendants amateurs de cerises aigres, de clafoutis, de crumbles, de confitures ! Eux possèdent des dénoyauteurs !
Mai 2014 – Fragments – Marité G.