Cornebise
Cornebise
Lorsque je pense à mon grand père, tout d’abord c’est son pantalon de gros velours tenu par des bretelles qui m’apparaît, puis sa moustache broussailleuse sous sa casquette élimée, et alors c’est sa voix que j’entends, et qui crie
Cornebise !
Le décor peut changer. Il peut être dans l’étable ou dans son atelier poussiéreux. Cornebise ! Une vache a renversé le seau de lait. Cornebise, le clou qu’il tenait entre ses doigts tremblants vient de disparaître dans une fissure. Cornebise, il fait un froid à geler l’enfer ! Cornebise, ma montre, cassée !
C’était son mot et il lui allait si bien qu’il n’a jamais eu à me l’expliquer, c’était tellement lui, cette façon de conjurer le mauvais sort d’une caresse bourrue et non d’une imprécation.
Cornebise, il y a du diable là-dedans, mais aussi beaucoup de tendresse. La vie est de corne et de bise et l’une ne va pas sans l’autre, il me l’a appris.
Oui, c’était bien lui. Sa peau était râpeuse à ma joue, mais ses baisers doux. Cornebise.
C’était un sage, papy Gris. Je ne l’ai jamais vu se mettre en colère plus que ça, ni se désespérer au delà. Pourtant je crois qu’il a connu plus de corne que de bise dans sa longue vie.
Je lui sais gré de m’avoir légué ce mot magique. Elle est partie, cornebise ! J’ai perdu mon couteau, cornebise ! Il pleut, cornebise, rentrons nous réchauffer !
J’aimerais le transmettre à mes enfants, et peut-être même à vous si vous me croyez.
Cornebise, vous verrez, c’est une façon d’accepter et de sourire comme souriait mon grand père, un art de vivre.
« Ce qui ne peut être évité, il le faut embrasser. »
William Shakespeare (The Merry wives of Windsor -1600)
23 septembre 2014 – Textes courts – Jean Marie Tremblay
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