Le Tacot (suite et fin)
Quelquefois, on ratait le train, ce train propice aux conversations !
Un jour, notre mère et sa marraine Mélie de Ponceau s’en furent voir la cousine Mizier se relevant d’une intervention chirurgicale ; au lieu de descendre à Charbuy, tellement prises par leur conversation, elles ne descendirent du train qu’à Auxerre, c’est à dire au terminus ! Le plus difficile, au retour, fut de donner des nouvelles de l’opérée à notre grand-mère, « maman Tavie »!
Une autre fois, quelqu’un de très proche devait rencontrer sa promise dans le train ; le train s’arrêta en gare de Fleury et repartit sans que l’amoureux, arrivé trop tard, puisse monter dans le wagon ! La solution ? courir et courir derrière le tacot. Et le train de s’arrêter et de repartir !… Jusqu’où ? Peut-être Charbuy ! Les souvenirs sont lointains ! Mais il faut croire que les amoureux ont fini par se rencontrer parce que cela fait soixante-sept ans qu’ils sont dans le même train !
Le tacot pouvait servir de convoi funèbre : l’oncle Pascal, oncle par alliance, mourut. On disait de lui qu’il était allé au Mexique et revenu sans faire fortune ; il mourut en France ! Sa femme qui était de notre famille écrivit à notre père : » va au train avec ta brouette, tu pourras passer par « La Motte » et aller directement au cimetière ! » Le papa, plutôt gêné, prévint quand même le responsable du corbillard… et attendit. On ne trouva pas le cercueil quand le train fit sa pause à Fleury jusqu’au moment où l’on s’aperçut que les employés étaient assis dessus ; sans doute était-il bien « emmailloté » de toile de jute pour affronter le voyage ! L’enterrement eut lieu dans la plus stricte intimité !
Notre brave tacot a même eu des actions héroïques ; celle-là, nous la tenons de notre instituteur : des soldats allemands, pendant « l’Occupation », montèrent dans le train ; cela ne plut pas trop au chauffeur, ni au mécanicien, et, vers le « clos de la Chaînette », le train dérailla, se renversa sur le côté, à la grande satisfaction de quelques-uns…
Quant au train « Joigny-Aillant-Toucy », Edmond et Jean le prenaient pour retourner à l’internat et l’internat (1938-1940) au « cours complémentaire » de Toucy ne plaisait pas trop à Edmond et pas du tout à Jean ! Artème B. les conduisait à la gare d’Aillant, avec son auto ; il voyait mal ; un jour, au tournant du moulin de Poilly, il manqua aller tout droit ! A Aillant, on allait par le train sur Toucy et Jean priait avec ferveur, avec détresse : « Mon Dieu, faites qu’y déraille, faites qu’y déraille » ! Jamais, il ne dérailla ! Mais en 1940, les Allemands occupèrent le « cours complémentaire » et surtout ce sinistre dortoir de soixante lits avec ses lampes bleues. Les internes furent alors placés dans des familles et étudièrent au « cours complémentaire » de filles grâce à l’Occupation ; Dieu (???) avait exaucé Jean à sa façon !
Longtemps après sa disparition, nous avons parlé du tacot et raconté ses aventures ; les anciens, (il n’y en a plus beaucoup !) qui sont toujours vivants rient encore en évoquant leurs souvenirs et rajoutent quelques épisodes savoureux qui régalent les plus jeunes attentifs à notre passé. Actuellement, plus de traces des rails, ni des traverses sur lesquelles nous pouvions courir à grandes enjambées, ni des petites haltes le long du parcours qui permettaient de s’abriter en attendant le train ; seules subsistent les modestes gares, des chefs-d’oeuvre de construction à nos yeux d’enfants, rachetées et aménagées par des amateurs pour en faire de coquettes habitations en nous rappelant de bons souvenirs.
Les tracés des lignes du chemin de fer sont devenus des chemins de terre, belles promenades à travers bois et champs, coupant les petites routes départementales où il n’y avait pas de barrières autrefois ; on ne risquait rien si on se baladait le long des voies ferrées et même sur les voies : on connaissait les heures de passage du tacot qui se faisait entendre en cas de besoin Février 2014 – Fragments – Marité G.
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