PAs de VRP à l’école !
J’ai souvent évoqué mon « Paris-Morvan » en narrant les épisodes parfois drôles, parfois tristes ou touchants de mes débuts de carrière ; avec du recul, je ris maintenant de mes réactions de jeune institutrice qui met son point d’honneur à « réussir » sa carrière ; travailler à Paris ou travailler au cœur du Morvan n’a évidemment rien de comparable ; pourtant, fraîche émoulue de l’École Normale, j’étais sensée posséder une formation parfaite, être une pédagogue plus que parfaite et connaître parfaitement toutes les ficelles du métier ; je le croyais en toute insouciance et n’avais-je pas le prestige de la jeunesse ?
Après Paris, me voici donc en poste en plein Morvan ; lundi 1er octobre, c’est la rentrée ; mes 20 élèves, de la section enfantine au C.E.2 (4 à 9 ans)sont au moins aussi stressés que moi ; nous passons notre première journée à organiser tant bien que mal une vaste salle de classe aux murs d’une couleur indéfinissable, au plancher défoncé, aux fenêtres dont les vitres peinent à laisser passer la lumière du soleil automnal ; des tables noires à quatre ou cinq places avec pupitres à rabat et des bancs bien fixés à l’ensemble de façon inamovible.
Au deuxième jour nous sortons le matériel dit « pédagogique » d’une vieille armoire poussiéreuse et je fais la répartition des livres déjà bien usagés aux enfants sensés savoir lire ; les plus petits dessinent, barbouillent, usent des bâtons de craie sur leur ardoise , ce soir, les seuls devoirs à la maison seront de couvrir les livres et d’écrire son prénom et son nom sur la couverture ; les jeunes ont pour mission d’apporter demain un sac de marrons et des brindilles de bois qui serviront de bûchettes pour le calcul !
Mercredi 3 octobre, selon leur niveau approximatif, les élèves qui savent lire préparent la lecture d’un texte, apprennent par cœur une phrase de leur choix, répondent par écrit aux questions sur la lecture ; les petits, à quatre pattes sur le plancher, déballent leur bûchettes et leurs marrons et font des paquets ou des tas de 3, 4, 5, … jusqu’à 10 selon leur possibilités et avec l’aide d’un plus grand qui a fini son travail ; tous ces gamins et gamines sont d’une sagesse exemplaire ; je n’en reviens pas !
Soudain, on frappe à la porte, on frappe même très fort ; je me précipite, ouvre, j’aperçois un petit hommes très brun (j’ai su plus tard qu’il s’appelait Mr Brun) tenant un cartable bien bourré d’une main et des papiers de l’autre ; d’emblée, je lui dis :
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« Bonjour Monsieur, je ne reçois pas les voyageurs de commerce pendant la classe ; veuillez vous présenter après 12h ! »
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« Madame, je suis votre Inspecteur et je souhaite faire la connaissance des maîtres de ma circonscription et visiter leur école.»
Mon sang n’a fait qu’un tour et j’ai dû passer par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ! Ah ! Le choc !
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« Excusez-moi, Monsieur l’Inspecteur ! »
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« Continuez votre travail, s’il vous plaît ! »
Mes élèves, imperturbables, ne bougent pas d’un poil ; moi, je sais qu’on ne reçoit pas les V.R.P. pendant la classe, on me l’a « enseigné » à l’E.N. ; je mets en pratique ; point final !
C’est alors que Mr Brun se met à mon bureau ; lui, prend des notes ; moi, je retourne à mes petits ; les grands se débrouillent avec des fichiers auto-correctifs de calcul et de conjugaison ; enfin, la cloche libératrice sonne, activée par un grand de fin d’études et les élèves s’envolent dans la cour où ils n’oublient pas de continuer la récolte des marrons ! Suit un un bref entretien avec Monsieur l’Inspecteur ; son rapport porte surtout sur l’état de la classe et l’urgence de rénover le bâtiment . Puis, au départ :
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« Je vous félicite, Madame, pour votre façon de recevoir les voyageurs de commerce ! Si je suis venu dès cette rentrée scolaire c’est pour être sûr d’arriver sans encombre à votre école car mon secrétaire m’a prévenu que les routes sont impraticables de décembre à mars tant il y a de la neige ! » ( Il a forcé la dose ).Mais effectivement,il n’y a que les chars tirés par des bœufs pour atteindre les hauteurs du Morvan par temps de neige. Le secrétaire en question n’est autre qu’un camarade de promotion de mon mari ; cette année-là, le « voyageur de commerce » a été célèbre dans la circonscription, au moins autant que la nouvelle institutrice de Fâchin !
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En plein hiver, j’ai quand même reçu un autre inspecteur qui ne craignait pas la neige, celui des enfants de l’Assistance Publique de Paris, installé à Château Chinon pour servir dans la Nièvre ; celui-là était un cousin de ma mère ! « C’est toi, la fille à la Mélie de Ménestreau ? Moi je suis Tintin D. et je suis ton cousin ! » Il connaît ma mère, il me tutoie, je fais une drôle de tête ; « Je t’expliquerai tout à l’heure, on mangera ensemble à midi, j’ai apporté ce qu’il faut , je suis passé dans les familles, maintenant je veux voir les enfants, il y a de sérieux problèmes d’hygiène, de maltraitance, il faut qu’on réfléchisse ensemble ! »
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Les conseils de mon cousin Tintin ont été précieux pour comprendre et découvrir la vraie vie de nos élèves, en majorité enfants de l’Assistance Publique de la Seine ou de la Nièvre et notre travail a pris une autre dimension.
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Au fil du temps, je les ai vus et entendus, les inspecteurs ! Eux ne font que passer, leurs conseils sont parfois pertinents mais pas toujours applicables sur le terrain ; J’ai souvent pensé à mon généreux cousin Augustin D. au cours de ma carrière !
3 février 2014 – Fragments – Marité
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