Engage le jeu que je le gagne
Engage le jeu que je le gagne. (palindrome)
essai de géométrie plane
J’ai eu la chance d’avoir le professeur Tournesol comme prof de maths en terminale C, et grâce à lui, j’ai eu mon bac avec 19,5 en mathématiques. Il arrivait toujours en courant à petits pas saccadés, penché en avant, comme sortant d’un film muet. Il s’appelait Plane, ce qui explique qu’on n’a jamais cherché à lui trouver un surnom, comme aux autres professeurs.
Il tirait de sa poche de minuscules papiers, que certains disaient « à cigarette », à partir desquels il pouvait couvrir les trois tableaux, et, si ça ne suffisait pas, continuer en effaçant de la main gauche pendant qu’il écrivait de la main droite. Il fallait suivre, mais il était passionnant. Un jour, dans un chapitre sur les probabilités, il nous demanda brusquement :
- Savez-vous jouer au Zartaplan ?
Bien sûr, nous l’ignorions. J’aimerais me souvenir des règles précises qu’il nous énonça, assez complexes, mais qui finalement équivalaient à « Pile tu perds et face je gagne. » Une sorte de jeu couru d’avance, maquillé par des arabesques de règles apparemment valides. Cela nous amusa beaucoup et nous organisâmes de grandes parties de Zartaplan après les cours, toute une série de jeux absurdes où c’était toujours le même qui perdait. Nous baptisâmes la salle de mathématiques le zartaplanodrome et l’entrée en était réservée aux zartaplanistes confirmés. Nous l’avions écrit sur une affichette au dessus de l’entrée. La première fois qu’il passa dessous, il ne la remarqua pas. Il entra et commença son cours puis s’interrompit soudain. Il courut alors à la porte, l’ouvrit et se retourna, ce qui prouve que ses différentes dimensions n’étaient parfois pas bien synchronisées. Avez vous déjà vu éclater de rire le professeur Tournesol, en chair et en os ? Moi oui, ce jour là.
« Engage le jeu que je le gagne » était une catégorie de Zartaplan, où c’était toujours le deuxième à jouer qui gagnait, vous en avez peut-être suivi quelques parties dans « L’année dernière à Marienbad ».
Je suis persuadé que Monsieur Plane devait également aimer les ambigrammes et les palindromes, car il m’a refilé le virus de la symétrie axiale et des rotations dans la cinquième dimension.
Un jour, je fus interloqué par une appréciation menaçante de sa part sur l’en-tête d’une copie globalement correcte, sauf une erreur de calcul dont je m’étais aperçu une minute avant de la rendre et que j’avais signalée in extremis.
Il avait écrit en gros à l’encre rouge : « Si je t’aperçois à l’apéritif, je t’étripe ! »
Non seulement Monsieur Plane envisageait que nous prenions l’apéritif ensemble, mais il m’annonçait un carnage si cela se produisait. Imaginez ma stupeur. Quelle erreur impardonnable avais-je commise ?
J’avais écrit « apperçois ».
janvier 2014 – Fragments – Jean Marie Tremblay
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