Les Oies sauvages

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25 / 11 / 2012
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On était en train d’accorder les guitares. Jef avait réglé avec soin la position de la batterie cinq fûts et les cymbales. Puis la charleston, à gauche de la caisse claire. Il y avait aussi deux congas dans un coin mais on avait pas de percussionniste. Dans la formation Jef et moi on était très proches musicalement. En fait ce n’était pas quelqu’un qui essayait de s’imposer à tout prix. Et puis c’était le meilleur batteur que je connaissais. Contre toute attente, entre lui et Joé le bassiste ça avait immédiatement collé lorsque celui-ci s’était présenté. Il y a quelques semaines il avait fallu remplacer Ibrahim parti vers d’autres cieux à force de chercher le septième ciel. Tant mieux pour la rythmique. Et tant mieux pour le groupe qui avait bien failli renoncer alors qu’il était à pied d’œuvre.

J’avais pris le micro devant la salle encore vide et je fignolais le son en regardant vers le monstre noir au fond qui clignotait en rouge et bleu. Derrière sa console l’ingénieur s’affairait tout en tachant d’interpréter mes signes.

Lilly n’était pas encore arrivée. Ça ne m’inquiétait pas trop, ça lui arrivait souvent. Une fois on avait même commencé sans elle pour faire patienter le public…Tout le monde la réclamait en scandant son nom. Nous on souriait bêtement avec nos accords à la noix. On faisait croire que c’était prémédité mais on n’en menait pas large. Et puis elle avait surgi, soulevant des cris et des sifflements de joie dans le public. Elle était arrivée comme ça, un peu titubante sur la scène. Elle n’avait pas l’air d’être dans son état normal mais il fallait voir l’ovation qu’elle avait eue. Il faut dire qu’elle était particulièrement piquante ce soir là avec sa mini-jupe, ses grandes bottes et son tee-shirt moulant. Elle chantait et dansait comme montée sur des ressorts et elle avait mis le feu à la salle. Qu’est-ce que j’avais pu être fier lorsqu’elle m’avait embrassé à pleine bouche devant tous ces gens au moment de saluer. Elle était en nage et moi j’étais sur un nuage. On s’était mis ensemble depuis ce moment-là, et avec Lilly c’était chaque fois la même chose. Dès que je la voyais, mon cœur se mettait à battre dans la poitrine et mes jambes ramollissaient. Je me demandais bien ce qu’elle pouvait bien me trouver. Lorsqu’elle était au creux de mes bras et que je lui posais la question, elle me répondait qu’elle m’aimait c’est tout. Son vrai nom c’était Marlène et un jour je l’avais surnommé Lilly, ça lui avait plu et c’était devenu son nom de scène. C’était ma divine à moi. C’était moi qui avait trouvé le nom du groupe aussi. Les Oies sauvages ça pouvait paraître un peu cucul pour un nom de groupe de rock. Mais c’était moi le leader après tout et j’assumais. Ces oiseaux migrateurs étaient pour moi le symbole de la liberté, ils signifiaient qu’il fallait faire ce qu’on voulait. J’aimais bien les entendre passer avec leurs cris au dessus de chez moi au printemps et à l’automne. Alors je les accompagnais avec mon piano . Cet orchestre n’était pas toujours facile à diriger et Joé le nouveau venu ne se privait pas de critiquer mes choix artistiques. Trop dissonant, pas assez tonique me reprochait-il sans cesse. Tes solos de clavier manquent de jus me disait-il et je ne savais pas quoi répondre.

 Ce soir-là on passait en vedette américaine. C’était la première fois qu’on pouvait jouer dans une grande salle. On était un peu nerveux et Lilly n’était toujours pas là. Tout en essayant les claviers je me demandais s’il ne fallait pas que je change un jour le nom de la formation. Pourquoi pas Lilly et ses musiciens ou bien la bande à Lilly. Probablement que sans elle nous n’existerions déjà plus. Sa voix si particulière, chaude et rauque, sa sensualité, son énergie sur scène attiraient les spectateurs comme des mouches. Et moi j’étais comme un pauvre chasseur qui regardait passer dans le ciel cette oie sauvage-là.

J’étais en train de faire le tour de la scène pour vérifier que tout était bien en place avant l’ouverture des portes. La guitare basse était posée sur son socle mais il n’y avait pas de Joé non plus. Deux absents pour notre premier grand concert, ça commençait à faire beaucoup. Sur mon portable qui sonnait dans le vide sur le numéro de Lilly, il y a avait un message. C’était Joé. Il m’annonçait qu’il partait avec Lilly. Ils allaient former un duo. Ils regrettaient beaucoup pour moi, mais pour eux les Oies Sauvages c’était fini.

30  octobre 2012 – Textes courts – Didier Laurens

1 Commentaire

  • Pezennec Denise

    « Les oies sauvages » ça vaut bien « les chaussettes noires »! originale ton histoire. Je m’attendais presqu’à ce que tu vois passer le couple, là-haut dans le ciel se tenant par les ailes.

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