Le retour
Consigne : Vous étiez parti depuis trente ans, vous n’aviez jamais donné aucune nouvelle, aucune explication. Rédigez 7 paragraphes correspondant aux sept jours de la semaine qui suivent votre retour.
Lundi. Je suis arrivée hier. À Paris, j’ai loué une voiture, je ne voulais croiser personnes, ne parler à personne, ne voir personne. À travers les vitres de ma voiture pourtant, sans le vouloir, je retrouve déjà des visages connus. Tous ces visages que je croyais oubliés et qui me reviennent en force. Cette femme qui promène son chien, je la connais, c’est sûr. On était à l’école ensemble. Elle avait déjà cette façon si particulière de hausser les épaules pour ponctuer ses pensées. Je la retrouve, je veux lui sourire et son visage soudain se trouble et disparaît pour laisser place à un autre totalement inconnu. Alors je me souviens, cette amie là est partie vivre à l’étranger, bien avant que je ne parte moi-même. Ce genre d’expérience se renouvelle trois fois et me laisse à chaque fois en sueur, le cœur fou, les mains moites. Je ne sais pas si j’aurai la force d’arriver jusqu’à toi.
Arrivée à l’hôtel, je me réfugie dans ma chambre. Inutile de penser à manger, je suis épuisée, je ne sortirai pas aujourd’hui.
Mardi.
J’ai réussi à sortir de ma chambre. Je suis partie tôt. Je veux voir ta maison avant que tu ne sortes. Je ne veux par rater ton départ. Je veux t’apercevoir seulement, te deviner. Le détective que j’ai contacté m’a indiqué ton adresse, j’ai quelques photos, je sais que tu es belle.
Je suis maintenant devant toi et je te regarde de loin, toujours protégée par ma voiture. Cette femme-là, c’était toi ? je ne te reconnaîs pas et cela me fait peur. Je suis revenue pour toi. Qu’est-ce que l’on t’a dit ? Pendant trente ans, je me suis battue contre cet espoir, te voir. J’ai pensé qu’il était mieux pour toi que tu m’oublies. Et si tu l’avais fait ? Après ton départ, je quitte moi aussi ton petit village pour retourner dans ma ville, celle qui m’a vu grandir, que j’ai quitté. Je ressens de nouveau ce sentiment étrange, je connaît déjà tout et rien n’est vraiment pareil.
Mercredi.
Je suis allée au cimetière. Mon père et ma mère sont morts sans moi. Sur leur tombe il est gravé : »A mon père bien aimé », puis à ma mère bien aimée. Ils ont du pensé que je les avais aimé jusqu’au bout. Je suis heureuse de ce signe, j’y vois comme un appel. On l’a parlé de moi sans doute. Je t’imagine jouant sur les genoux de ton grand-père, comme il a du t’amuser.
Jeudi
Je suis décidée à te parler. Je veux savoir ce que tu penses mais je veux surtout te voir vraiment. Les jours passent si vite. J’ai peur de repartir dimanche sans t’avoir approché. Il faut que je trouve le courage. A midi je sonne chez toi. Tu m’ouvres. Je prends ton regard comme un coup de couteau. Je le reconnais, c’est le regard que tu avais quand je te grondais sans que tu saches pourquoi. En une seconde, tu as compris qui j’étais. J’ai l’impression que tu m’attendais. Tu as crié et tu m’as fermé la porte au nez. C’était mon pire cauchemar. J’ai glissé mon numéro de téléphone, le nom de l’hôtel sous la porte et je suis retourné dans ma chambre. Tout m’agresse, ici.
Vendredi.
Je t’attends, je t’écris. J’essaye de t’expliquer pourquoi je suis partie et surtout que tu n’as jamais quitté mes pensées. Je parle à la femme que tu es de la femme que j’étais. Je suis allée glisser ma lettre dans ta boite, j’attends.
Samedi. Le soleil brille ce matin et il me fait mal. Je voudrais ne jamais être venue et à la fois, je sais que c’était vital pour nous deux. Je passe mon temps à pleurer. Je fais mes valises.
Dimanche. Je descends, tu es là ! Tout peut commencer.
23 novembre 2010 – Nouvelles- Laure Timon