La véridique histoire de Pablo Delmergouès
Mon métier m’avait transporté dans un petit port d’Amérique du sud, à la recherche de Paulo Verland, auteur vague et vague parent ; inconnu certifié!
C’est dans ces lieux incertains qui bordent les docks au-delà des entrepôts, que j’aimais à m’égarer au gré de ruelles étroites aux pavés humides, toutes percées des portes basses de tavernes aux enseignes énigmatiques teintées d’ailleurs et de nostalgie.
« Au Pot Rouge » me sembla de bon augure : une porte de bois peint encadrée de petites fenêtres gardant bien au chaud une lumière frileuse et jaune, avec, pile au mitan d’un carreau et comme un sous-titre : « Chez Mam’Demain » ! Cela résonna en moi comme une urgence !
Quelques tables, de simples bancs, de larges casquettes ou bonnets colorés, dévoilant un instant des visages marins qui estiment le visiteur avant de replonger dans le ronronnement de leurs discussions. Quelques femmes aussi, avec des fichus fleuris. Peu de lumière, de la fumée de pipes, de clopes et une grande cheminée rougeoyante… Je m’asseyai près d’elle, dos au feu, histoire de voir…
« Quouesta picolo little ombré ? » m’interrogea celle qui semblait être la patronne, avec un fort accent berrichon.
– Your étiquettas dé srada y causso dé « pot rouge » ; esta vino rosso ?
– Un peu mon n’veu !
– Ya bol uné litro red ?
– Sissi maxi tâchum 12,5 escalator ! Toi ça y en ad-hoc ?
– Marchum !
-… Tou résurgentiane ouné gugus este fili viock potos mio : Paulo Verland dit La Plume ?
Elle avait dit Paulo Verland avec un fort accent ardennais !
– Mi fistul minus frater Paulo Verland From Metz Moselle, réal !
– Putain ! Ben merde alors !
– Tu parles français !
– Nature ! Et qu’est ce que tu fous à Pentagluglu ?
– C’est un projet de livre, un petit bouquin sur la vie de tonton… Paulo, mais on ne sait pas grand de choses de lui.
– T’inquiète… Esta viendro Pépito ! J’te laisse un momenté faut qu’je serve ! Je ne lui avais même pas demandé son nom : Mam’ Demain ? Ça se pourrait…
Elle revint avec un large pot de terre décoré de lignes rouges ; « tu m’en diras des nouvelles, c’est du chilien !»
– Je ne t’ai pas demandé ton nom… Mam’ Demain… c’est toi ?
– Ouais ; une longue histoire qui remonte au temps où Paulo, c’est mon mec, rêvait de devenir riche et que pour ça, fallait aller au Pérou… pour l’or ; tu vois ! Il m’avait dit : « viens ma Gigi, Gigi c’est mon nom : Ginette Carembeuse, j’t’emmène au Pérou ousqu’y a d’l’or partout !». Moi, parole, j’l’ai cru ! Un jour… Ça vient !… arriba arriba, Pépito !… Attends, si t’es pas trop pressé j’vais fermer, et on pourra causer !
Le pot rouge s’asséchait, la cheminée s’assombrissait, un homme jouait sa flute de Pan, les condors passaient… « Déglutès picolo vivo ; troquetti closet… ».
– Mam’Demain, interrogeais-je ?
– Ouais : pass-que j’disais souvent « ça ira mieux demain ! »… Tu partagerais un aut’ pot avec moi ?
Ça c’est passé comme ça avec Paulo : on v’nait juste d’arriver à Pentagluglu, un an à peine, troquet tout neuf, éconocroques touchant le fond, que mon Paulo il entreprend un gars, un indien, il lui demande où-ce qu’on peut trouver d’l’or ? J’te traduis en gros : l’autre, « Oui, je sais mais je ne suis qu’un pauvre potier et il me faut gagner ma vie ! »… L’Paulo : « Comme cela tombe bien, vois-tu, nous avons besoin de jolis pots de terre bien décorés pour notre débit de boisson !»… « Combien ? »… « Bah… cent ? »… « Tu m’en prends deux cents et je te fais de beaux décors rouges ! ». Ainsi furent mises à mal nos restes d’économies : « Ça ira mieux demain ! » que j’disais aux clients amis qui me voyaient trimer alors que cet enflure de Paulo y f’sait du tourisme… mais le coup des pots de vin marcha bien, l’enseigne fut changée ; mon surnom j’l’ai écrit sur la porte un jour de cafard…
L’indien lui aurait dit : « Sais-tu qu’il existe, loin vers l’est, tout au fond d’une gorge profonde entre les monts de Famaoualpé, une coupe magique pourvoyeuse de richesse ? Elle est comme un oeuf qui serait coupé en deux dans sa longueur, sculptée dans une pierre blanche, élevée sur un court piédestal. Une source l’emplit parfois, on ne sait comment, de l’Eau du Silence ; c’est elle qui à la particularité de transformer tout ce que l’on y plonge en or. On dit que les hommes, et les hommes seulement, qui y pratiquent un bain de siège, se voient attribuer la richesse éternelle ! ».
– C’est symbolique, une sorte de métaphore, le Graal de la richesse, qu’il disait, ajoutant : « Sais-on jamais ? ». Il partit, après quelques trocs avec l’indien ! « Sait-on jamais ? »… Pendant c’temps, Gigi bosse et Paulo s’tire… puis r’vient ! Estropié…
– Mais, il l’a trouvé ce bidet de la richesse éternelle ?
– Penses-tu ! Ce con n’a pas fait cent bornes qu’il s’est fait mordre au pied par un serpent ; il a fallut l’amputer du gros orteil !
– Pas si grave… et maintenant ?
– Maintenant ? Ben il a écrit toute une aventure aux multiples rebondissements, dans laquelle il trempe le bout de son gros orteil dans l’Eau du Silence, çui-ci s’transforme rapido en or, et lui-même y s’rait dev’nu une statue d’or s’il n’avait coupé, lui-même, vite-fait, son gros doigt de pied ; avec son Opinel en plus ; Tu parles d’une connerie !
– Et son bouquin, il a été édité ?
– Ouais, ça s’appelle : « La Légende de l’Orteil d’Or » ! Il a signé d’un pseudo : Pablo Delmergouès ! Tu sais pas ? il a fait fabriquer un gros orteil en bronze, grandeur nature et recouvert de feuilles d’or, pour preuve du vrai de l’histoire !
– Il en vend de ses livres ?
– Ouais, ça paie les pots cassés qu’il faut remplacer ! L’indien, lui, y s’marre encore… mais en douce !
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