Nuage
Même les nuages prenaient la forme de son visage. Elle ne l’avait aperçu qu’une fraction de seconde, malgré elle, ce début d’enfant. Une vague forme blanche sur fond noir, un haricot, c’était bien ça. Elle n’avait pas voulu attendre et voir le scintillement cadencé de ce minuscule cœur en marche. Elle était sorti de l’hôpital, tout c’était bien passé selon la formule consacrée. Non, cela s’était juste passé et depuis elle voyait son visage partout. Des joues rebondies, des yeux bleus ou marrons, espiègles forcément, plein d’amour évidemment, Une fois fille, une fois garçon, puis définitivement fille, mais pourquoi pas un garçon ?
Elle arrivait à chasser la pensée, les regrets. Elle stoppait net les réflexions qui commençaient par « Et si…» Mais ce visage, ces visages, elle n’y arrivait pas. Sur celui de chaque enfant croisé, qu’il soit bébé ou qu’il ait quinze ans et cette assurance insupportable de l’adolescent gauche dans son corps ou de la lolita éclairée de toute son inconscience. Sur le sien aussi quand elle se croisait dans le miroir et où son propre regard l’arrêtait, plein d’incompréhension, de honte ou de consolation, au gré du moment.
C’était la meilleure décision, il avait dit, ce ne sont que des cellules. Et bien sur c’était vrai aussi. Ce visage imaginé ne cessait de l’accompagner. Mais il n’était réel que pour elle, alors elle l’a caché tout au fond d’elle. Comme un trésor d’enfant que l’on garde dans un mouchoir propre et bien plié, dans le recoin d’une poche.
Ce visage n’ apparaît plus depuis longtemps, remplacé par tant d’autres joyeux et aimants qui occupent sa vie. Il est relégué au passé compliqué. Le non choix, la souffrance se distinguent encore parfois dans les nuages. Le regret, elle n’en est même plus sûre… Pourtant, même pour les grands ménages, le mouchoir consciencieusement replié garde sa place, au fond du tiroir de ce meuble particulier dont elle refuse de se débarrasser, jamais.
05 mars 2019 – Textes courts – Muriel Koch