La roue de secours
« La roue de secours »
J’ai toujours été la roue de secours. Durant toute ma vie.
Quand mon frère est mort, je suis née pour le remplacer…
Si mon père n’avait pas déclaré à la Mairie une petite fille du prénom que je porte, j’aurais dû m’appeler « Joëlle », prénom masculin aussi bien que féminin.
Mère inconsolable d’avoir perdu son fils…
Quand, à l’adolescence, alors que je souhaitais faire les Beaux Arts, elle s’est opposée à mon choix, outre l’aspect financier, parce qu’ il y avait « une drôle de faune dans ces étudiants », pour ne pas dire sa peur, elle restée seule après la séparation d’avec mon père, de me voir partir moi aussi…La roue de secours.
Quand, après le Bac, j’ai fait choix de travailler chez mon père tout en habitant chez ma mère, la roue de secours d’un couple séparé…
Mon père disparu, les larmes éperdues de sa compagne au téléphone, pensant que je savais où il était…La roue de secours pour celle qui, à l’âge de onze ans, m’avait pris mon père !
Plus tard, quand l’un de nos enfants allait si mal, c’est toujours moi qui prenais son mal-être en pleine figure, moi qui, la première, dans ses appels angoissés, devait improviser les mots pour écouter l’inaudible, consoler l’inconsolable, entrevoir et dépasser le possible irréparable…
Moi qui devais rassurer, quand j’étais morte de peur…
Combien d’appels désespérés, à toute heure du jour et de la nuit? La roue de secours !
Quand, pendant des années, tu as été mal dans ton travail et que tu déversais le soir, à la maison, le trop plein de ton mal-vécu, professionnellement, quand tu t’abimais dans le ressenti et la rancœur, qui écoutait patiemment, essayant vainement de trouver les mots ? Tu ne les entendais pas…La roue de secours !
Ce fut à moi, à mon tour, de connaître de gros soucis, professionnellement : cabale, harcèlement, dénigrement…
Qui dut, encore et encore, monter au créneau pour dire et redire ce qui n’allait pas et apporter les preuves, devant me justifier pour battre en brèche la contestation effrontée du clan opposé ? La roue de secours…
Quand le pot aux roses fut découvert, et enfin confondus les imposteurs, sur qui s’est-on appuyé, et s’appuie-t-on encore, plus de deux ans après, pour faire comme si tout allait bien, avec un effectif réduit d’un tiers ?
Qui vient-on chercher dans les situations d’urgence les plus désespérées ?
J’ai toujours fait ce que les autres ne veulent pas faire…
Et ça vous étonne que je veuille partir en retraite « si tôt » ?
A soixante ans, la roue de secours en a assez ! Largement. Elle est crevée !
Allez, roulez, jeunesse ! A vous de jouer maintenant !
30 janvier 2018 – Nouvelles – Louis Mancy
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