La fête des voisins
La fête des voisins.
A traiter, en utilisant, avec classe, au moins cinq gros mots ou insultes. ( consigne de Laure)
La fête des voisins, depuis maintenant quelques années, n’était plus, pour son épouse et pour lui, qu’une simple formalité, dénuée de tout sentiment.
Ils avaient beau être là, tous ces salauds, tout près d’eux, chargés de fleurs, et grand soleil de circonstance, malgré certains aspects plus sombres de leurs vies passées, ils étaient toujours là, toujours les mêmes, à se retrouver côte à côte, immuablement.
Pour peu que, ce jour-là eût été largement arrosé, ils refaisaient le monde à qui mieux- mieux, tous bien propres, nickels et bien alignés et si proches les uns des autres qu’on eût volontiers pensé, à les voir ainsi, qu’ils avaient toujours été culs et chemises.
Parfois, certes, un mot de travers, une virgule de trop, une phrase assassine, échauffaient un peu les esprits. Certains, hors d’eux-mêmes, lançaient toutes sortes de piques à d’autres, qui, autour d’eux, impassibles et faux-culs, restaient complètement de marbre.
Il y avait bien parfois quelques débordements, mais, en fin de compte, tous finissaient par rentrer dans le rang et les plus jean-foutres d’entre eux auraient été bien incapables d’en arriver aux mains…
Aucune raison, assurément, de ne pas remettre ça l’année suivante ! C’était devenu un rite, et la fête, d’année en année, continuait de plus belle…
Cette année- là, il y avait depuis peu un nouveau-venu dans le voisinage !
Aussi redoutable que le bouche à oreilles, le tibia-péroné se mit à fonctionner…
Il se disait sur son compte toutes sortes de choses, plus sordides et plus morbides les unes que les autres, qu’aucun d’entre eux, personne ne l’ayant jamais vu, n’avait d’ailleurs pu vérifier : qu’il était tout pétri d’orgueil, que c’était un fait-chier de première, que toute sa vie il avait tété si fort sur la bouteille qu’assurément il ne ferait pas de vieux os, et que peut-être bien, à l’heure qu’il était, il n’avait déjà plus toute sa tête, et que, d’ailleurs, ça n’avait aucune espèce d’importance, vu que de toute façon, il était con comme un boulon!
Tous les voisins en rajoutaient sur son compte et dans son dos, évoquant des histoires à mourir de rire…
Autant dire que cet intrus, dans ce joli pré-carré de citoyens respectés, dénotait un peu avec ses grands airs d’ours mal léché…
Mal léché, à n’en pas douter, il l’était, et ne tarda pas à le montrer !
Tout partit en vrille à partir d’une banale histoire d’écologie.
Les désherbants chimiques jusqu’alors utilisés dans cette noble copropriété n’étant pas du goût de tous, certains craignant peut-être pour leur santé, il fut décidé, nul ne savait trop par qui, mais sans doute par quelque sommité extérieure, d’y mettre fin du jour au lendemain, sans la moindre concertation…
Evidemment, l’herbe se remit à pousser, ce qui eut pour effet d’en indisposer certains, qui se mirent à tousser et ne manquèrent pas de se manifester, haut et fort. Les plus beaux noms d’oiseaux volaient à l’encontre de leurs voisins, accompagnés, le plus souvent, d’une bonne poignée de bois vert…
Il y eut d’âpres conciliabules et pléthore de réunions secrètes, avec moult interrogations, invectives, altercations et tergiversations, où l’on manqua mille fois de s’étriper, mais de concessions en concessions, on arriva à cette stupide décision : pour un poil d’herbe de trop, il fut acté, Dieu sait par qui, de bétonner toutes les allées d’accès entre parcelles. Ainsi, l’herbe ne pourrait plus pousser !
C’était sans compter sur le nouveau voisin, qui, n’ayant pas pour habitude de se laisser marcher sur les pieds, en grand effronté qu’il devait être, se laissa aller, sans aucune retenue, à déborder largement sur les plates-bandes voisines, tout dégoulinant de bêton mal léché sur les pieds, le corps et le reste de la tombe soignée, polie et lisse de ses vénérables voisins pour l’Eternité.
Tonnerre de Dieu, comment ne pas se retourner dans sa tombe devant tant d’incivilité et un tel manque de savoir-vivre !
23 mai – Ludotextes – Louis Mancy