J’aimerais mieux n’être point né, qu’être ce que je suis.
à partir de Guy de Maupassant : J’aimerais mieux n’être point né, qu’être ce qu’ je suis
A l’entrée du petit cirque itinérant, tout le village se presse, se pousse, se bouscule .
Tout le village et les populations entières des villages voisins. Un bouche à oreille efficace et pervers a conduit ici, ce soir, des voyeurs de tous crins, hommes, femmes tirant leurs enfants, jeunes encore ignorants des mystères de la vie, vieillards souffreteux et lubriques heureux d’arracher encore une fois une bribe de découverte à un présent miteux.
Au centre de la piste, une cage, énorme, dissimulée sous les pans lourds d’une toile épaisse qui l’enferment totalement.
C’est un à un qu’on entre sous le chapiteau, qu’on pénètre vers cet étrange sanctuaire, dans un silence impressionnant qui naît, s’installe, où se devinent des souffles retenus, des paroles avortées, des envies de crier refoulées au plus profond de soi.
Au-dessus de la cage, suspendue à des chaînes d’acier, une lourde pancarte métallique que leste son contenu affiché en lettres de braises :
J’ A I M E R A I S M I E U X N’ Ê T R E P O I N T N É Q U E D’ Ê T R E C E Q U E J E S U I S
Intrigués, les visages un à un défilant appuient leur front lourd sur le rebord d’une minuscule lucarne ménagée dans la toile, qui s’ouvre et se referme le temps d’un sauvage déclic.
Les épaules affaissées, les yeux gonflés d’horreur, écarquillés de stupeur, chacun ressort à l’autre extrémité du chapiteau comme ployant sous le poids d’un incommensurable secret.
Chacun rentre chez soi d’un pas moins assuré, quêtant la protection d’un bras familial, d’une épaule amie.
Comment la vie peut-elle réserver surprises aussi amères, spectacles vivants aussi douloureux ?
8 novembre 2016 – textes courts – Denise Pézennec