Taverne de Maligny

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25 / 10 / 2016
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depuis la photographie d’une maison mangée de lierre.

Au premier regard, mon esprit s’en est allé vagabonder sur les chemins : cette façade, mangée par le lierre, où était-ce déjà ?

Ah oui ! J’avais marché sous la pluie, une bonne partie de la journée. Une petite pluie tenace et froide qui avait eu ce jour-là raison de mes ambitions. Je m’arrêterais ici, bien content d’avoir un toit !

Taverne de Maligny ! Oui, c’était bien là !

Dans Mal-igny, il y a mal. Et puis -igny. Perrigny, Pressigny… Peut-être, en des temps très lointains, cet endroit avait-il été épargné partiellement par le feu ?

A la lisière du bois, sombre et profond, dont la traversée, sans âme qui vive, m’avait semblé bien longue, cette masure oubliée, bien peu engageante, m’apparut, ce jour-là, providentielle. Qu’importait l’apparence ? Au moins , je serais au sec!

Au bar, un homme, transparent, me regardait fixement. Était-ce le sac, ou bien la barbe trempée et en désordre ?

A ma demande, il ne répondit pas, me désignant de la tête la femme qui était un peu plus loin, petite et fluette, les traits tirés, les yeux cernés, l’âge indéterminé et fané..

Elle leva vers moi ses yeux, petite lueur au milieu du visage. Oui, il lui restait des chambres. Pour cette nuit, c’était d’accord.

-Vous faites le chemin ? Tenez, vous pourrez laisser là votre pèlerine à sécher, dans la salle, vers le poêle…

-Et vous viendrez prendre l’apéro, je vous l’offre, tout à l’heure, avant de manger. On peut dire que l ‘temps vous fait pas peur, vous !

Ce fut un repas somptueux, simple et copieux, qui suivit la rencontre au bar d’un couple de Hollandais. Nous échangeâmes en franco-anglais. Eux aussi étaient en chemin. Leur quatrième, trente kilomètres par jour, c’était du sérieux !

Le couple s’étant installé à une table pour deux, j’allai prendre place à la table à coté, sur l’invitation de la main d’un homme d’un certain âge, accompagné d’une dame dont le maintien et l’élégance faisaient oublier celui qu’elle pouvait avoir.

Il engagea spontanément la conversation. Il s’appelait Jean, avait presque 82 ans, en paraissait dix de moins.

Le chemin, bien sûr ! il questionne, s’intéresse, un brin admiratif…

Il était revenu avec son épouse pour le week-end là où elle avait passé son enfance…

Ils étaient habitués des lieux, connaissaient bien la patronne, Nicole, qui avait perdu sa maman, juste avant Noël, un dur moment…

Nous parlons de la difficulté à mourir, de la peur de la souffrance…

Sa femme est infirmière. Nous parlons de notre fille, infirmière aussi, de son copain Atef, de la maladie qui vient de l’emporter et de ses convictions lui ayant fait refuser l’opération qui l’aurait peut-être sauvé…

-Vous me chavirez, dira Jean.

Et nous parlons d’Auxerre, de Guy Roux, qui « a remis sur pieds un paquet de joueurs ».

Il a travaillé au PSG du temps de Borelli, où il avait la responsabilité de la section amateurs.

Grâce au foot, il a beaucoup voyagé…

Professionnellement, il était Capitaine de la garde Républicaine !

La conversation se prolongea longtemps, naturelle, presque intime. Jean en oublia la finale de la coupe Bordeaux-Evian qui se jouait ce soir et qu’il voulait regarder dans sa chambre…

Avant de m’endormir, je repensai à ce début de journée morose, pluie et froid mêlés, à cette auberge improbable à la façade habitée par le lierre, qui avait dû être une belle bâtisse naguère…

Quels secrets cette vieille masure tenait-elle bien gardés ?

Qu’avait été la vie de ces gens, plusieurs générations durant, à l’Intérieur ? Combien de soirées d’accueil, de conversations, de peines et de rires échangés , de repas animés, de réconforts trouvés ?.

Quels mystères, aujourd’hui encore, gardait-elle en son sein ?

Le lendemain matin, à l’heure où le pèlerin prend son petit déjeuner, un jeune homme de presque 82 ans vint s’asseoir à ma table, me disant qu’il tenait simplement à faire quelques pas avec moi avant que je ne file…

La petite dame au bar, Nicole, m’embrassa en partant.

L’homme au bar était son mari. Il avait fait un AVC…

11 octobre 2016 – Textes courts – Louis Mancy

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