1939 : le sort des fusils de chasse
Entre les deux guerres, dans les campagnes, pas de télévision, pas de cinéma . La grande distraction alors, pour les hommes, c’est la chasse; la chasse communale ou privée mais payante. Tous ces chasseurs avaient la connaissance des BEAUX fusils. Le fusil « IDÉAL » de chez Manufrance, le plus beau du monde. Ceux des petits artisans de Saint – Etienne :les DARNE, les VERNEY CARON; les anglais réputés :JAMES PURDEY, WINCHESTER; les italiens BUENELLI et ZOLI; les STEYR MANNLICHER autrichiens; Le MAUSER allemand; les belges également dont j’ai oublié les noms…Le chasseur entretenait avec son fusil une relation quasi amoureuse:il passait son temps à huiler les canons, les frotter, astiquer la crosse avec un chiffon doux: un monde de caresses à rendre l’épouse jalouse! Et, quand en 1939 fut affiché l’ordre de remettre à la gendarmerie toutes les armes en sa possession à commencer par les fusils de chasse, plus d’un resta perplexe. Que faire ? La prison était la menace en cas de désobéissance ! Les donner, c’était l’assurance de ne revoir jamais les précieux objets ! Les cacher, mais où ? S’ils étaient par hasard retrouvés c’était même le camp de concentration pour terrorisme comme cela arriva à une connaissance de mon père dont un fusil fut retrouvé malencontreusement par un soldat allemand qui, dans un grenier, jouait à caresser un chat ! Quel manque de chance! C’est qu’on ne rigolait pas avec cette consigne! Les enterrer était une solution séduisante. C’est ce que beaucoup firent en prenant quelques précautions : agir de nuit, garder le secret, bien envelopper l’engin dans un linge graisseux. Malgré ce dernier soin, c’est ainsi qu’en 45 on revit à la chasse des fusils rouillés, au canon percé ! À Auxerre, les grands chasseurs étaient connus. Notre voisin, monsieur Servet ( quincaillerie Servet-Duchemin )avait glissé ses fusils démontés dans un gros tube de gouttière qu’il avait soudé à l’étain avant de l’enterrer !
Durant la guerre, le courrier était réduit. Il existait des cartes postales pré-imprimées qui devaient faciliter la tâche : COMMENT VA……. ET……..(untel) VA-T-IL BIEN ?
Un jour, mon père reçut de son frère Louis qui lui avait confié son fusil pour le cacher, une de ces cartes ainsi complétée: « CARON »va-t-il bien ? Mon père répondit sans perdre de temps au moyen d’une carte identique: CARON va très bien…….Mon oncle avait des nouvelles de son fusil VERNEY CARON enterré dans le garage de la grand-mère où les allemands qui avaient réquisitionné son logis, y faisaient de l’exercice ! On devine la terreur de la pauvre femme. Mon père, lui, nous avait expliqué avec force détails comment il avait jeté son fusil dans le lac d’ Annecy. ( nous y vécûmes quelque temps). Mais nous vîmes avec stupéfaction le fusil en question, un VERNEY CARON lui aussi acheté par correspondance, réapparaître à la libération pour fêter avec des salves joyeuses la Victoire attendue ! Les parents sont tous menteurs, plus que leurs enfants.
Après la guerre, de nombreux chasseurs se rééquipèrent auprès de la manufacture de Saint-Etienne qui vendit par milliers d’exemplaires son nouveau fusil, le ROBUST 222. Finalement, cette sombre époque fut positive pour certains : les grands armuriers eurent du travail à donner à leurs ouvriers, en France comme à Auxerre où MARTINAUT rue du Temple et ClERMONT face à la poste à côté de Monoprix prospérèrent. D’autre part le gibier, sangliers et autres, avait eu le temps de pulluler en l’absence des chiens et des chasseurs barbares. L’amour de la chasse reprit de plus belle. Ces 5 années de chasse interdite entraînèrent la mort de la chasse banale où l’on arpentait en liberté le territoire de la commune comme le faisait mon grand-père paternel avec son fusil à canon DAMAS où il utilisait des cartouches à broches chargées à poudre noire dont le recul démolissait l’épaule pour deux jours, dégageant une fumée digne d’un canon napoléonien. Jamais ce type de chasse ne réapparut. Naquirent alors les sociétés de chasse dont il fallait acquérir des actions, et la chasse banale se perdit dans la mémoire des vieux de la commune et dans les rêves des corniauds dont on reconnaissait la voix à des kilomètres et par là même le gibier qu’ils poursuivaient : chevreuil rapide qui prenait vite de grands partis, lièvre rusé aux nombreux forlongés, sanglier arrogant qui de sa bauge au fond d’un buisson d’épines excitait la rage des chiens. Par contre, des veuves vendirent pour œuvre d’art, des fusils anciens aux culasses si artistiquement gravées !
9 juillet 2015 –Fragments– Philippe MONNOT
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