Opération tour Eiffel
Opération tour Eiffel
Dès le début, Lyne Renaud fut emballée, et je ne dis pas cela en référence à Christo, même si sans lui ce projet n’aurait pas germé.
Elle aimait l’idée et m’ouvrit la tirelire du Sidaction pour financer le projet. il faut dire que le plastique nécessaire à la réalisation d’un préservatif de plus de 300 mètres de haut ne se trouve pas dans une pochette surprise. Mais trouver les fonds n’était pas tout, les difficultés techniques étaient gigantesques. Allez faire réaliser une surface de plus de six hectares en polypropylène sans couture apparente. Les industriels vous riront au nez. Cependant, cela fut fait, ne me demandez pas comment. Ensuite se posait le problème du transport. Au départ, j’avais pensé à une montgolfière, mais il s’avéra que quatre étaient nécessaires, volant assez près pour se partager la charge. Nous les trouvâmes, ainsi que leur pilote. Plusieurs semaines furent consacrées à l’entraînement, vol synchronisé et largage au sommet d’un pic alpin d’un anneau d’une centaine de mètres de rayon. Les premiers essais furent infructueux : les montgolfières ne parvenaient pas à coordonner leur vitesse et leur altitude, l’anneau se trouvait largué de travers. On peut comparer ces efforts à un jeu de bilboquet démesuré. Ce qui nous prit également beaucoup de temps fut de réfléchir à l’après, je veux dire l’évacuation de ces dix-sept tonnes de film transparent. Il fallait compter avec l’action du vent qui risquait de transporter des lambeaux du condom jusqu’à la tour Montparnasse, voire de s’envoler jusqu’à la pyramide du Louvre ou d’aller asphyxier quelques pèlerins dans un square. Symboliser la lutte contre le SIDA en trucidant des centaines de personnes ne serait pas du meilleur effet. Une solution fut trouvée : des filins permettraient de remballer l’engin en l’enroulant délicatement sur lui-même. Un hélicoptère viendrait alors le récupérer.
Nous étions tous fébriles quand le jour J arriva. Tout se passa sans encombre, si ce n’est que les antennes de la Tour transpercèrent le réservoir de la capote… les journaux ne manqueraient pas d’ironiser sur cette prophylaxie approximative. N’empêche que ça avait de la gueule et les touristes japonais mitraillèrent à tout va la capote française, comme on dit à l’étranger. J’avais insisté pour refuser toute publicité autre que celle de la cause, mais les lettres lumineuses de DUREX s’affichèrent du 1er étage jusqu’au sommet à travers la membrane. Les enculés.
31 mars 2014 – Nouvelles – Jean Marie Tremblay