la supplique des souches
La supplique des souches
La route Fleury-Auxerre, Auxerre-Fleury, je la connais bien ; je l’ai dans les jambes,surtout les mollets pour l’avoir parcourue à bicyclette et même à pied, « du temps où j’étais jeune » : je l’ai dans les yeux aussi car il est des images qui ne s’effacent pas : celles de la forêt épanouie et ses feuillages verts et rafraîchissants en été, de ses couleurs d’automne telles la palette d’un peintre, de ses chemins boueux, enneigés ou gelés en hiver en attendant l’éclosion des feuilles tendres du printemps, tentation des chevreuils cherchant un peu de nourriture.
Je passe encore sur cette même route, en voiture, me laissant paresseusement conduire : un dimanche, j’ai eu soudain la vision d’un champ de ruines, un vrai champ de bataille lâchement abandonné par des soldats épuisés après un rude combat ; j’ai eu mal à « ma » forêt. Sur une dizaine de kilomètres, par intermittence, de chaque côté de la route, des arbres abattus, des branchages enchevêtrés comme des bras implorant du secours, des troncs impressionnants par leur taille et leur diamètre, allongés près de la route et le long des chemins de terre pour être sans doute transportés par des acheteurs, des branches coupées à la tronçonneuse, toutes de même dimension, empilées régulièrement et destinées à être vendues en bois de chauffage.
De place en place, des souches, restes encore douloureux d’arbres pleins de vie que la machine dévorante a taillés, tronçonnés, rabotés. Elles disent leur plainte :
« Nous sommes les souches mutilées par la cognée de quelques bûcherons novices ; nous rêvions d’être branche et fleur d’acacia embaumant notre route et s’offrant aux abeilles butineuses.
Nous sommes les souches encore tendues vers le ciel, espérant de lui des preuves de vie comme tout ce qui germe autour de nous.
Des souches enracinées dans le sol, collées à la terre ; pourquoi nous avoir brisées, nous qui sommes le soubassement de la vie ?
Qu’allons-nous devenir ? pourriture dans le sol ? Brasier des bûcherons quand ils nous auront arrachées à la terre qu’ils veulent mettre à nu ?
Nous aurions pu nourrir encore longtemps ces jeunes chênes au tronc vigoureux, ces acacias fleuris recherchés par les apiculteurs, ces quelques hêtres où jouent les écureuils et tous ces taillis où tant d’oiseaux cachent leurs nids !
Nous ne sommes plus que des souches abandonnées où viendront peut-être s’asseoir les amoureux de la nature pour écouter le vent ou contempler les rayons de lumière filtrant à travers les derniers feuillages ou tout simplement les amoureux en recherche d’un lieu paisible, loin des regards et du tumulte de la ville ; peut-être y aura-t-il encore des enfants amateurs du « chat perché » qui viendront s’ébattre en toute liberté sans irriter les voisins grincheux.
Dites-nous, vous les humains, les raisons de ces ravages, ici ou ailleurs dans le monde ; pourquoi cet acharnement à détruire ce qui est si long à construire et qui nous est indispensable ? La forêt n’est-elle pas le poumon de la terre ? »
Il ne m’appartient pas de trouver la vraie réponse à ce problème devenu mondial ; mais quelques éléments concernant « ma » forêt viennent éclairer ma lanterne.
Nous avons tous entendu parler ou lu dans la presse locale que l’aérodrome de Branches (aérodrome ou aéroport?) a invité les propriétaires à couper seize hectares de bois autour de la piste d’Auxerre-Branches, piste qui doit être refaite. 84 propriétaires sont concernés et ont été « invités » à abattre leurs arbres à leurs frais mais auront des bénéfices (?) à la revente. Il faut savoir aussi que l’aérodrome de Branches doit s’ouvrir à l’aviation d’affaires ; quelles affaires ? Qui sont les hommes d’affaires ? N’ont-ils pas l’autoroute pour leurs confortables voitures avec chauffeur et le T.G.V. de plus en plus rapide et propice au travail ?
Alors : pitié pour nos forêts ! Les entretenir intelligemment, oui ! Les détruire sauvagement, non !
23 mars 2015 – Fragments – Marité G.