La Quille Bon dieu !

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05 / 11 / 2014
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Du bleu-bite récemment débarqué à l’ancien cuit de soleil, ne cessait de monter une injonction désespérée, vaine et imaginée en un lointain espoir : « la Quille Bon dieu ! ».

Elle hantait les dortoirs, secouait les salles de séjour, montait de l’ascèse ténébreuse des chiottes : « la Quille Bon dieu ! »

La Quille était, paraît-il, le nom du bateau qui ramenait – rarement – les forçats chez eux, une fois accomplies la peine et ses éventuelles prolongations.

La Quille, c’était la joie, la famille, les filles jolies et tendres, le calme et le repos, la fin des humiliations brutales, des dangers, des tueries inutiles, la recherche d’un travail avec toutes les joies qu’on pouvait en tirer.

La Quille était là, c’était une question de semaines, parfois de jours. Peu à peu s’ était imposée l’idée qu’il était indispensable de ramener un souvenir : quelque chose de curieux, de spectaculaire qui ornerait la future demeure. Le choix était limité. Le « Fouette-queue », gros et rare, la vipère des sables, mortelle et capable de s’enfouir à la vitesse de l’éclair. Restait évidemment la Rose des Sables, morceau de gypse taillé et retaillé par les vents de sable et prenant vaguement, parfois, l’aspect d’une rose ;

Un jour une idée surgit : « les scorpions », tapis et et silencieux sous les dalles du reg. Il suffisait de soulever le bloc et de s’emparer de l’animal (de 10 à 20 cm) avec de gros gants ou des pinces de métal. On le laissait agoniser 10 à 20 jours sur les plaques d’amiante qui constituaient nos cabanes, puis on en enfermait les corps dans une boîte qui serait l’orgueil du retour.

Sans hâte, mais Dieu merci inéluctable, la Quille approchait.

Aussi se multipliaient les chasses au scorpion, devenu le souvenir favori.

Toute une matinée y fut consacrée. Elle fut fructueuse, puisque sur les midi, le soldat Alexandre Roland, qui était un gros con et que je haïssais, entra en portant triomphalement un demi-bidon à pétrole grouillant de ces charmantes bestioles. Soulever des cailloux quand il fait 48° n’est pas chose aisée, la bière coulait donc à flots. Une bière pas très forte en vérité, mais très abondante.

Le soldat Alexandre en avait-il abusé ou se tordit-il le pied ? Le voilà qui qui se casse la gueule avec sa précieuse cargaison, en entrant dans la chambrée où se préparait le repas.

Ah quel bordel madame Adèle, ah quel boxon monsieur Léon !

Tout le monde saute sur les lits, les tables, les chaises ! C’est un mouvement général, une apothéose commune. Quoi faire ? Quoi tenter ? quelques courageux écrasent les retardataires, car le scorpion n’est pas très véloce.

Mais ils sont nombreux et fort habiles à se glisser dans les recoins, les trous, les fissures. Un esprit hardi suggère que, le scorpion craignant l’eau, de placer les pieds de tout ce que nous possédons comme mobilier dans des récipients plein d’eau, afin d’empêcher l’animal de grimper et de piquer jambes et cuisses nues.

Ce système commence à être appliqué, lorsqu’un illuminé déclare que ‘non l’eau n’arrêtera pas le scorpion qui est une sorte de crustacé ! C’est d’essence qu’il faut remplir les récipients et la sécurité sera parfaite. Qu’on imagine la fabuleuse invention… Le réservoir d’essence circule, tout se remplit. La moindre étincelle, la moindre connerie transformerait la chambrée en un bel autodafé.

Les heures passent, pas de piqûres, pas d’incendie. Un jour, deux jours. Les scorpions ont disparu, gagnant sans doute des cachettes inviolables ou tout simplement leurs grosses pierres habituelles.

Il a fallu trouver d’autres souvenirs.

Il y a 2000 ans le Sahara était une savane giboyeuse et hantée de chasseurs.

Ces chasseurs chassaient à l’arc. Les pointes de flèches étaient en silex fort bien taillées . Elles étaient abondantes. Et je m’en constituais une belle collection depuis donnée ou hélas perdue.

03 novembre – Fragments – Jean Jacques L.

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