L’Araignée

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26 / 06 / 2014
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L’ARAIGNEE

« 25 ans, retrouvée morte, la malédiction ? »

Assise sur une chaise de bois laqué blanc dans la salle d’attente, je jette un œil sur les titres du magazine qui domine tous les autres sur la pile défraîchie. Les images reviennent en boomerang dans mon esprit.

Des policiers de la scientifique l’avaient décrochée, elle était d’un teint diaphane, son regard livide et son corps tel une poupée de chiffon. J’avais poussé un cri d’effroi ne comprenant pas ce qu’il se passait. Selon la police « aucune drogue, pas de lettre de suicide et aucune trace de violence ».

Une porte s’ouvrit brusquement me ramenant à cette pièce froide et sans personnalité.

-Bonjour Mme Seraine, allons-y, me salua le docteur Brun.

Je me lève lentement vers l’antre de celui qui pourrait enfin me dire la vérité et lever le voile sur mes interrogations.

-Vous pouvez vous asseoir, me dit-il en m’indiquant un fauteuil de tissu râpé par ses patients.

Il flotte dans l’atmosphère une odeur rance, celle d’une pièce jamais aérée. Je me surprends à frotter mon nez vigoureusement pour chasser ces effluves nauséabonds. Depuis quelques temps, des soubresauts envahissent mon corps.

Je lève les yeux vers le médecin et attend qu’il commence à parler.

Nous nous dévisageons quelques instants, ce qui me met mal à l’aise. Je croise mes jambes et je tousse en espérant qu’il prenne la parole.

Timide, je hasarde un début de phrase, mais aussitôt il prend la parole.

-Je savais que vous viendriez un jour, dit-il satisfait.

Bien sur, il connaissait le dossier. Un inspecteur chargé de l’enquête m’avait conseillé de prendre rendez vous avec le psychiatre de ma sœur. Il pensait que celui-ci pourrait apaiser ma souffrance en me fournissant des réponses à mes questions.

Je ne peux pas dire que j’étais proche de ma sœur, nous étions si différentes, du moins je le pensais.

Depuis le décès de notre mère cinq ans plus tôt, je lui rendais visite chaque mois dans son appartement, enfin, celui de ma mère ; jamais ailleurs, pourquoi ? Je n’ai jamais su et je m’en fichais, l’essentiel était de garder le contact. Nous avions été élevées par notre mère, notre père, biologique, avait déserté le foyer dès notre naissance. Agé d’à peine vingt ans et se retrouver responsable de jumelles, il y avait de quoi se faire une frayeur !

Notre mère travaillait beaucoup, surtout le soir. Elle rentrait souvent « défoncée » par la cocaïne que ses clients lui fournissaient. Nous ne manquions de rien, peut être, un peu d’amour maternel.

Très tôt, j’ai quitté la maison ou plutôt les deux pièces que ma mère avait achetées avec ses économies, comme elle disait. Aujourd’hui, j’ai un boulot « alimentaire », coté cœur j’ai tout foiré mais qu’importe, je n’ai pas besoin d’un mari pour m’entretenir et des enfants pour brailler. Est-ce que je poursuis le destin de ma mère ? Peut être. Mais cette vie est si facile.

Pour ma sœur, cela a été plus compliqué, elle n’a pas supporté mon départ, ni la disparition de notre mère. Orpheline, elle n’allait pas bien. Mais, je ne l’ai su qu’après, quand tout à commencer. Chaque fois que je la voyais, je la trouvais encore amaigrie, ces gestes n’étaient plus assurés et elle rentrait quelque fois dans des délires. Elle se sentait en danger, elle fermait la porte et vérifiait encore quatre ou cinq fois après mon entrée. Elle regardait par la fenêtre, elle faisait le tour de l’appartement et revenait apaisée, au moins pour un moment. Après quelques minutes, je repartais sans jamais poser de questions. Je savais que cette attitude n’était pas normale. Je me disais que cela lui passerait.

-Vous n’avez rien remarqué, lâcha t-il soupçonneux.

-Pensez vous que j’aurai dû faire plus attention à ses manies ? Vous ne pouvez pas me rendre responsable du suicide de ma sœur ? Et vous, n’avez-vous rien vu venir ?

Mal à l’aise, le médecin me regarde, se renfrogne dans son siège tel un enfant pris en faute.

-Pour tout vous dire, votre sœur souffrait d’une maladie génétique incurable.

Comprenez-vous ce que je veux dire ? Baissant la tête vers moi.

Interdite et passive je ne réponds pas, il reprit la parole :

-Ce que je veux vous dire, c’est que cette maladie est aussi en vous. En effet, des jumeaux ont 50% de chance d’avoir cette maladie si la mère en est atteinte.

Mais, notre mère était morte par overdose, pensais-je. Enfin, c’est ce que disaient les enquêteurs. Comment ai je pu ne rien voir ? Ce n’est pas possible !

-En êtes vous sur ? Je lui demande.

-Parfaitement, votre sœur a développé cette maladie, suite aux nombreuses ruptures avec ses proches. Elle avait des périodes de crise qu’elle cachait. Elle hallucinait pendant ses crises. Elle avait des mouvements de plus en plus incontrôlables. Elle se sentait toujours épiée et elle pensait qu’une personne lui en voulait.

C’est probablement pour échapper à ce danger qu’elle a voulu en finir. En sorte, elle a réussi à retrouver sa liberté.

En silence, je me lève lentement, affaiblie et abasourdie.

-Au revoir, docteur, je reviendrai vous voir.

En passant le long de la petite table basse de la salle d’attente, mon regard se pose de nouveau sur la couverture du magazine :

« Retrouvée pendue à son domicile – la schizophrénie, une maladie incurable. »

mai 2014 – l’Orteil d’Or 2014 – Frédérique Chaton

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