Les manies de Mamie

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25 / 06 / 2014
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Les manies de Mamie.

 

 

Courriel d’Annabelle N. à Isabelle C. le 10/06 :

Ma soeurette, nous vous attendons. Jacques vous prendra à Roissy. J’ai hâte de vous retrouver avec votre petite Lilibelle. Parce que nous serons ensemble à Auxerre, c’est à nous, parait-il, de vider les meubles de la maison de notre Mamie Blue. Il va nous falloir du courage…Suis débordée. Vivement les vacances….

Bisatous.

 

Je m’appelle Annabelle et ma sœur jumelle, qui vit bien loin de nous, en Australie, Isabelle. Notre grand-mère maternelle nous a quittées et nous avons beaucoup de chagrin. Nous étions ses « belles ».

Pour sa famille et les amis les plus proches elle était Mamie Blue (prononcer blou) après avoir été Mama Blue. Elle devait ce « blue », à son beau regard couleur de lapis-lazuli. Avec les années, les iris s’étaient un peu fanés et embués d’un gris tendre.

Enfants, nous étions certaines qu’elle nous préférait à nos cousins germains. Trois garnements un peu plus âgés, qui, jaloux, nous surnommaient en ricanant sottement « les blue bell girls ».

Je n’étais pas retournée dans sa maison bien que j’habite à quelques enjambées. Trop de peine…

 

Trois après-midi suffirent pour tout ranger, car notre mamie avait la manie de l’ordre.

Combien de fois nous a-t-elle fait la leçon! Ne rien laisser traîner. Chaque chose à sa place. Laisser place nette. Et ces rappels : « Isabelle, tu as encore laissé traîner ton bonnet (ou ton tablier, ou …) sur la chaise ! Annabelle, sais-tu où tu as mis tes chaussons (ou ta trousse, ou…) ? Dans ces moments-là, elle n’était plus notre Mamie chérie mais la méchante « Mémèrerangetout » et nous carrément odieuses. Mais ces éclats étaient de courte durée.

Il faut reconnaître qu’elle nous donnait l’exemple. Le journal lu, grilles de sudoku, de mots croisés, de mots fléchés remplies, partait aussitôt avec les publicités dans le panier du tri sélectif rangé dans le placard de l’entrée. Son livre de chevet, chaque matin, était refermé sur son marque-page et replacé dans la bibliothèque. Les factures et autres courriers à conserver allaient dans le secrétaire de sa chambre. Ce meuble massif que nous trouvions si laid nous intriguait avec sa monstrueuse loupe d’orme. Elle l’ouvrait avec une petite clé qu’elle sortait du tiroir de son armoire. Chez elle rien ne traînait.

 

Nous avons donc entrepris l’ultime rangement de la maison de notre Mamie Blue pendant que, très fier, mon beau-frère allait présenter la petite Lilibelle à la famille.

Nous avons commencé par ce qui nous semblait le plus facile : vider la bibliothèque.

Les livres d’art et autres beaux livres mis à part, nous avons rempli des cartons que nous avons remis à diverses associations. Les revues ont été déposées dans une maison de quartier.

Sachant que le plus délicat nous attendrait, nous avons poursuivi par le couloir de l’entrée.

Nous avons retrouvé la boîte à sucre pleine de boutons, les papiers de soie, papiers crépon, papiers cadeaux, papiers japonais dans la grande corbeille en osier, les crayons de couleurs et crayons feutre dans leurs étuis, les ciseaux et cutters dans la trousse bleue, les crayons de papier, tubes de colle et gommes dans la trousse rouge. Dans le carton à dessins, quelques feuilles de Canson et cartons, supports de nos œuvres. Les gardait-elle pour ses arrière-petits enfants ?

Chez Mamie Blue on ne pouvait pas s’ennuyer. Toujours heureuse de nous accueillir pendant les petites vacances ou autres congés, elle avait une quantité d’activités à nous offrir : balades à vélo, piscine, pâtisserie, invitations pour des goûters avec nos amies et plus tard nos copains… Et pour les jours de pluie, les « loisirs créatifs ».dont nous ne nous sommes jamais lassées. La toile cirée sur la grande table de la salle à manger, à nous le bonheur de créations délirantes faites de collages, de papiers découpés et autres matériaux, toujours encouragées par Mamie Blue. Mais quand approchait l’heure du repas, il fallait tout RANGER, séance tenante. La mémèrerangetout était intraitable. Cinq minutes de plus et nos œuvres auraient été des chefs- d’œuvre…

Pour son armoire ce fut plus difficile.Toucher ses vêtements, reconnaître son parfum…Nous avons essuyé quelques larmes. Puis nous sommes ressaisies. Remettre à quelqu’un d’autre cette tâche aurait été un sacrilège.

Nous avons terminé par le secrétaire. Dans un petit tiroir, des dents de lait ; dans un autre, quelques bijoux fantaisie que nous nous sommes partagés. Bien rangés, des faire-part de mariage, de naissance, de baptême, de communion, de décès, Tiens, tiens !!! Notre cousin Pascal est né trois mois après le mariage de ses parents. « Faire Pâques avant les Rameaux ». Nous avons ri. Des menus, des cartes postales.

Plus bas, des liasses de relevés bancaires, des souches de chéquiers. Mais que faisait donc cette enveloppe insérée dans un paquet de souches de chéquiers ? A l’intérieur, des lettres. Nous avons tout de suite reconnu l’écriture de Maman, son encre bleu des mers du sud Waterman. Et nous les avons lues.

Dans la première, elle annonce « je vais enfin avoir un enfant ! Essai réussi ». Toute sa lettre

est un cri de victoire.

Dans la seconde, « ce n’est pas un mais deux enfants que nous attendons…sommes fous de joie. »

Puis, « nous aimerions que ce soient des filles ».

Un peu plus tard : « nous avons choisi leurs prénoms : Isabelle et Annabelle. Tout va bien. »

Et le faire-part : Annabelle et Isabelle sont arrivées, pour le plus grand des bonheurs de Marie et Pierre…

 

Nous avons été très émues et fières d’avoir été si désirées.

Ensuite nous nous sommes regardées longuement, gravement, les yeux dans les yeux. Sans oser poser la question qui nous brûle.

Nos iris sont bleu lapis-lazuli, ça nous rassure un peu.

 

Alors Mamie Blue, maniaque de l’ordre ou du secret ?

Nous aurions dû faire plus attention à ses manies…

 

 

Mai 2014- Orteil d’Or -La Loutte

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