Oéba (haut et bas)
Consigne : Décrire un lieu particulièrement étrange (réel ou imaginé)
Oéba
C’est un lieu où le haut est le bas. D’ailleurs, c’est son nom : « Oéba ». « Haut et bas », c’est une gravure de M.C. Escher. Elle représente une courette avec un escalier. Un homme est assis dessus, au milieu, et parle avec une femme appuyée sur le rebord d’une fenêtre. Dehors on aperçoit un arbre, un palmier. Car ce n’est pas un lieu où dehors est dedans. Du moins pas le monde… j’allais dire « extérieur ». Comment décrire qu’il ne s’agit pas de deux scènes juxtaposées, mais bien d’une seule ? Il y a deux hommes qui ne font qu’un, deux femmes qui n’en font qu’une, deux escaliers, deux rues, deux arbres, qui chaque fois n’en font qu’un. Tout est double et un, sauf le plafond et le plancher qui coïncident si parfaitement qu’on n’en voit qu’un. Mais ce n’est pas tout, car si l’on fusionne parfaitement les points de vue, à un moment on se demande où nous sommes, nous, qui regardons ce lieu. Car si nous voyons bien la scène d’en bas, lorsque nous basculons pour la voir d’en haut, nous comprenons que nous devrions nous apercevoir, tout en bas en train de regarder vers le haut. De regarder l’homme, la femme. Que peuvent-ils se dire ?… et de nous regarder nous-même en train de rechercher en bas cet observateur un peu indiscret que nous sommes deux fois ! Cet endroit où nous devrions nous voir, où nous nous tenons, existe précisément au centre de l’image. Nous voyons bien sur quel carré de pierre nous devrions nous trouver pour nous regarder ainsi regarder. Mais sur ce carreau de pierre, il n’y a rien, pas même un œil, pas même le nôtre. Nous sommes seulement à l’autre bout, ici.
04 février 2014 – Textes courts – Jean Marie Tremblay