Ma souche paysanne
Ma souche paysanne
Connaissez-vous Ménestreau ? C’était, pour ma mère, le nombril du monde ! Elle est née en 1894 tout près de là, a vécu là, jusqu’à son mariage. Ménestreau : des collines couvertes de bois, des haies, des prés, des champs de blé. Autrefois, sur le flanc des collines, des vignes , des sources d’eau fraîche et pure au coeur du village ; combien d’habitants ? Entre 80 et 100 ! Ma mère a grandi dans ce village paisible, aux confins du Morvan, participant aux tâches quotidiennes de la maison, s’occupant d’une jeune soeur née onze ans après elle.
Ernestine, sa mère, était une petite femme toute menue, vive, travailleuse et gaie : « maman Titine », c’était ma grand-mère maternelle. Le grand-père Antoine était petit commerçant, petit paysan, ramasseur d’oeufs dans les fermes pour réexpédier à la gare d’Entrains-sur-Nohain. Il avait eu la vie dure, placé « chez les autres » ; braconnier impénitent, parfois, il se faisait pincer par les gardes de Monsieur le Duc d’Entrains, Duc de Mortemart, Prince de Tonnay-Charente qui lui disait : « Monsieur Chauffour, promettez-moi de ne plus braconner ! »et la réponse suivait : « tout ce que vous voudrez, Monsieur le Duc, mais pas ça ! » Il aimait le danger, par exemple, rentrer de sa vigne tard le soir, avec sa tonne de vitriol : » on a bien travaillé, père Antoine ? » -« Bien sûr ! » et dans la tonne, il y avait … un chevreuil !
Mes grands-parents paternels, eux, vivaient à Fleury-la-Vallée, également, « nombril du monde » ; ils étaient aussi paysans et commerçants ; le grand-père Edmond (1856-1908)que je n’ai pas connu, en plus de son métier, était musicien, animateur et chef de la fanfare de Fleury : « la lyre républicaine « .
Ma grand-mère Octavie est née en 1864 aux Varennes, un hameau de Charbuy où elle est allée à l’école jusqu’à son certificat d’études de l’époque ; toute jeune enfant, elle a perdu sa mère et n’avait pas la vie heureuse avec une belle-mère très dure, quasi une marâtre. Elle s’est mariée, jeune, avec Edmond, ce « romantique aux cheveux longs et cravate Lavalière » dont elle était profondément amoureuse. Veuve à 44 ans, elle s’est trouvée en charge de la maison et du commerce avec ses deux fils ; l’un d’eux, qui deviendra mon père, avait obtenu son diplôme de « capacité à l’enseignement »et aurait voulu être instituteur, mais à la mort de son père, il a été obligé de se mettre au commerce. D’ailleurs, il est devenu commerçant dans l’âme et a repris les tournées avec le cheval et le « quatre-roues commercial » bien connu dans les villages avoisinants où il passait régulièrement ; à Ponceau entre autres ; pourquoi Ponceau en particulier ? Eh bien ! Là vivait une de ses fidèles clientes, ancienne coiffeuse à Paris, retraitée à Ponceau avec son mari ; le jeudi, elle attendait le passage de ce commerçant célibataire d’une trentaine d’années et dans sa tête cherchait à le marier avec sa nièce elle-même célibataire ; c’était après les années de la 1ère guerre mondiale qui avait tué tant de jeunes hommes. La nièce en question n’était autre que la fille de Ménestreau qui venait voir sa tante à Ponceau ; la « marieuse » a gagné puisqu’un jour, « le beau garçon » a demandé la nièce en mariage !
Ils se sont mariés, ont vécu à Fleury-la-Vallée dans la maison de famille, sont restés commerçants, lui continuant les tournées, elle assurant le commerce dans la boutique. Au passage, petite anecdote : quand ma mère s’est installée à Fleury après son mariage, un gars du pays, surpris de voir arriver « une étrangère »a demandé à mon père : » Où don que t’las trouvée ta garce ? » Ma mère a pris cela pour une injure ; explication lui fut donnée : « garce » est le féminin de « gars » dans les villages de l’Aillantais, tout au moins à cette époque !
De leur union, naquirent trois enfants, deux garçons et une fille : 1923, 1925, 1927 ; à la 3ème naissance, on se disait que ce serait encore un garçon mais sitôt l’accouchement terminé, ma mère s’est exclamée fièrement : « je l’ai, ma fille ! »
La fille, c’était moi, mon aventure terrestre allait commencer !
20 novembre 2013 – Fragments – Marie-Thérèse G.