C’était un enfant effrayant et docile

 C’était un enfant effrayant et docile

Je suis né par un jour de pluie. Un jour fade, gris, tout à fait ordinaire. Un jour où mon père était absent. Une fois de plus, il participait à un séminaire à Lyon pour son entreprise.

Je suis né presque tout seul. Il y avait juste ma mère et la sage-femme qui, ce dimanche là, assurait la garde à l’ancienne maternité Saint-André. Ce n’était pas bien gai.

Moi, j’aurais préféré qu’il y ait de la musique de cirque et puis des jongleurs et des funambules et que la sage-femme soit en justaucorps à paillettes avec des rubans dorés dans les cheveux, comme une trapéziste.

Et puis qu’à la fin, on tire un grand feu d’artifice avec plein de fusées de toutes les couleurs qui partent dans tous les sens.

Mais, ça ne s’est pas passé comme ça.

Enfin, pas tout à fait…

La sage-femme, en vrai, elle s’appelait Gertrude. Ses cheveux, coupés courts, sentaient les épinards moisis, sa blouse était boutonnée « le lundi avec le mardi », ses mollets ressemblaient à deux gros jambons et on voyait bien que, même si on l’aidait, elle n’arriverait jamais à rester en équilibre sur un trapèze volant.

Dès qu’elle m’a tenu entre ses mains, elle a fait une grimace. Puis, d’une voix de professionnelle qui connaît son métier par cœur, elle a annoncé :

« C’est un garçon, madame, un beau bébé !… Mais, c’est bizarre, il est jaune…

– Ah oui, c’est normal, il a sûrement la jaunisse du nourrisson.

– Non, non, non, c’est autre chose. Il est jaune, entièrement jaune. Tout son corps est jaune citron… En vingt-sept ans et demi de carrière, c’est la première fois que je vois ça !… Et en plus, ses oreilles sont lumineuses et elles clignotent !…»

A cet instant, je ne sais pas pourquoi, j’ai eu la certitude que ma vie allait commencer de travers dés le début.

 18 décembre 2012 – Textes courts – Sylvie Antoniw