Il arriva chez nous un dimanche de mai… (compilation 2ème année)
Cette consigne de l’atelier du 28 février est inspirée de l’incipit du Grand Meaulnes d’Alain Fournier. Le temps d’écriture était limité à 40mn. Voici donc les textes de chacun, dans l’ordre alphabétique des prénoms
Il arriva chez nous un dimanche de mai …
L’air était doux, les feuilles bruissaient légèrement, les fleurs coloraient la pelouse rase. C’était vraiment un bon jour pour arriver…
Nous l’attendions, apprêtés comme souvent pour un dimanche, le sourire aux lèvres. Nous étions sur le perron, plantés là, nos semelles collées à la pierre. Pourtant, nous nous étions préparés, nous savions qu’il nous serait difficile de faire comme si… Aujourd’hui, il était là et cette vision dépassait tout ce que nous avions pu imaginer…
Ce n’était plus notre petit Henri, gai, insouciant, l’air encore enfantin, qui était devant nous, oh non ! Cet être qui avançait, clopinant, soutenu par une béquille, n’avait plus rien d’humain.
Ce n’était pas un visage qui se tendait vers nous mais une forme où tout se mélangeait comme si tout avait fondu et essayé de retrouver sa place, en vain.
Ma mère fut la première à aller vers lui, lentement. Elle le serra dans ses bras puis l’embrassa tendrement. Nous la suivîmes, jusqu’à former une ronde autour de lui, notre Henri retrouvé.
Doucement, nous arrivâmes dans la cuisine où notre mère avait préparé un repas de fête. Ça sentait bon les biscuits à la cannelle. Chacun s’assit. Henri reprit sa place, cette place vide depuis si longtemps, sous notre regard ému de nous voir enfin tous réunis.
27 mars 2012 – Textes courts – Betty Lefebvre
Il arriva chez nous un dimanche de mai.
Quand je dis «chez nous», il s’agit de la maison de mon enfance mais bien avant ma naissance. C’était chez ma grand-mère, devenue chef d’exploitation agricole du fait de son veuvage.
La Croix-Rouge le lui avait proposé. Sa mère venait de mourir. Son père, trop démuni (dans tous les sens du terme), ne pouvait plus assumer tous ses enfants.
Ma grand-mère avait donc pris, pour ouvrier agricole, ce jeune garçon de treize ans seulement.
En ce dimanche de mai 1929 est donc arrivé Francis: petit garçon timide, mal attifé, aux grands yeux apeurés, aux courtes jambes torves, aux genoux cagneux, aux pieds bots débordant de ses sabots…
L’homme qui l’accompagnait déposa avec lui un maigre balluchon et repartit assez vite.
Francis n’avait pas la moindre photo d’aucun des membres de sa famille! Celle-ci habitait à une quinzaine de kilomètres. Qu’est-ce que quinze kilomètres maintenant? A l’époque,sans auto, sans vélo, pour un enfant boiteux, aux pieds tout ronds, quinze kilomètres, ça signifiait une rupture à long terme avec sa famille.
Nul doute qu’il fut accueilli avec bienveillance. Dans notre famille, les commis étaient bien traités.
Sa chambre était extérieure et contiguë à la maison d’habitation de ma grand-mère. Elle était meublée de deux lits, une commode, une table ronde et une table de toilette. Les murs étaient bruts, nus.
Francis partagea toujours les repas à la table familiale, les veillées au coin du feu,les dimanches en famille. Il était, toutefois, le seul autorisé à déroger à la messe dominicale.
Francis était essentiellement vacher. Il devait curer les étables, conduire les vaches aux prés, aider à la traite (-à la main- à cette époque) mais il participait aussi à d’autres travaux (moisson, fenaison, taille des haies, récolte des fruits pour le cidre…).
Mon père et mes tantes étaient chargés de parfaire ses maigres connaissances scolaires: Francis apprendra à lire quotidiennement le journal.
Plus tard, mon père se maria, ma grand-mère mourut…Plus tard, je naquis, après les autres…
L’un de mes plus doux souvenirs fut la tendresse sans faille que je reçus toujours de Francis!
Quand j’étais petite, il m’autorisait tout: je pouvais,sans fin, le coiffer le soir à la veillée, lui faire des nattes, nouer des rubans dans ses cheveux tandis qu’il tentait de participer aux jeux de société.
Par temps neigeux, nous nous bombardions de boules et il m’aidait à ériger des bonshommes de neige.
Nous partagions particulièrement, lui et moi, l’amour des chiens et des chats de la maison.
Il était de tous mes voyages scolaires et m’offrait, à chaque fois, un bibelot auquel je restais particulièrement attachée.
Francis ne s’opposait jamais à mes parents; En revanche s’ils osaient me punir ou me gronder, il était alors indigné et capable de faire grève. Il me protégeait aussi de mes aînés. J’ai le sentiment qu’il avait une perception démultipliée de toute atteinte dont je pouvais faire l’objet.
Lorsque je fus interne, je rentrais le samedi par car. Arrivée au bourg, il était la première personne à m’accueillir, venu m’attendre et m’aidant à porter mes bagages.
Il a partagé tous les bonheurs et toutes les tristesses de la famille.
Il fut particulièrement précieux pendant les années de guerre.
Chaque famille catho. de la commune employait ainsi un commis qui lui était attaché de l’adolescence à la mort, certes voué au célibat mais totalement intégré à la cellule familiale.
Francis n’eut pas cette chance: quant à la retraite, mes parents durent quitter la ferme, ils n’avaient pas la place de l’accueillir dans leur nouvelle maison. Francis fut alors hébergé dans sa famille d’origine: chez une sœur, puis chez un frère et enfin chez des neveux chez qui il ne fut pas heureux.
Je devins sa tutrice, lui trouvai une place en maison de retraite et lui rendis visite régulièrement jusqu’à sa mort. Instants affectueux où je massais son corps endolori, où il m’embrassait à plusieurs reprises quand je le quittais.
Tout au long de sa vie, nous ne manquâmes jamais de fêter le jour de son arrivée, le premier dimanche de mai, et son anniversaire en août.
A sa mort,je ne fus pas autorisée à récupérer ses vieilles photos jaunies dans son porte-feuille ni à déroger des rites de célébration établis.
Le malheur de Francis, séparé des siens prématurément et«estropié», disait-on alors, fit toujours le bonheur de la fillette puis de la femme que je fus.
Cela tint à son caractère, bien sûr, à son besoin d’aimer et d’être aimé, mais ce fut permis et favorisé, sans doute, par les qualités d’acceptation et de respect des personnes -quelque fut leur statut- en vigueur dans la famille.
28 février 2012 – Textes courts – Colette Bellanger
Il arriva chez nous un dimanche de mai, précédé du ronflement de sa moto. Une Terrot, à l’assise large, au souffle puissant que le vide de la rue répercuta sur les murs ensoleillés.
La maison de mes parents occupait une situation banale au croisement de deux artères secondaires dans un quartier peu fréquenté d’une petite cité de l’Yonne. En face, l’atelier d’un jeune garagiste, toujours ouvert même un premier mai, jour férié et de surcroît un dimanche.
Le motocycliste était descendu de sa machine qu’il avait placée sur sa béquille. Redressé, il ôtait son casque et ses lunettes au moment où je quittais le logis paternel. Il me sourit, capta mon regard et sans le lâcher expliqua:«Le garage est ouvert mais je n’y ai pas vu le garagiste. Ce n’est pas très grave.»Il souriait toujours et s’était approché de moi. «Vous habitez ici ?» Incapable de répondre, d’expliquer que j’étais venue rendre visite à mes parents, je serrai convulsivement le bouquet de muguet que je m’apprêtais à aller offrir à une vieille voisine. Le parfum des clochettes écrasées s’installa entre nous et j’eus un geste confus comme pour m’excuser de ma maladresse. Il me souriait toujours. Je me sentais sotte et vide de paroles sensées. C’est alors que je remarquai sa barbe, longue et fournie, sa carrure de sportif, son torse que moulait un tee-shirt blanc sous le blouson de cuir. Il s’était tu mais son regard couleur de noisette mûre plongeait toujours dans le mien qu’il avait repris et n’abandonnait pas. Je vis ses lèvres s’écarter , j’eus une folle envie de les toucher. «Je m’appelle Jean.»
Je sais une Mamie qui attendit vainement son bouquet porte-bonheur ce jour-là.
Les heures passèrent vite à l’écouter me raconter par quelle obscure voie le hasard l’avait conduit à moi. Je bénissais l’absence du garagiste et la discrétion de mes parents qui ne se montrèrent point.
J’appris très vite l’essentiel. Il était instituteur. Il venait tout juste de débarquer d’Algérie où , dans une guerre qui n’acceptait pas son nom, il avait vécu pendant trente mois des épreuves extrêmement difficiles dont il me tut les détails mais sa souffrance était palpable. Il n’avait pas encore d’affectation. Il ignorait quel poste d’enseignement allait lui échoir dans le département.
Il chercha à deviner ce que je faisais, quelle était ma profession, où je vivais. Échaudée lors d’une précédente relation amoureuse, je demeurai volontairement évasive . Il me quitta et je devinai à son dernier regard les regrets qu’il avait de mon mutisme.
Le destin me le ramena à la rentrée de Pâques : on venait de lui confier une classe dans l’école de garçons qui jouxtait le collège où j’enseignais depuis septembre.
Le printemps et l’été 59 virent grandir chez moi le goût des balades à moto dans la forêt, le long des petites routes de campagne, bien accrochée au dos rassurant de celui dont j’allais partager l’existence pendant près de cinquante ans. La Terrot à laquelle il tenait tant – premier gros achat avec ses premières économies -fut vendue quand mon ventre arrondi devenu encombrant exigea le confort indispensable d’une première automobile.
28 février 2012 – Textes courts– Denise Pézennec
Il arriva chez nous un dimanche de mai. Il s’en souvenait très bien. C’était même le deuxième dimanche du mois. Celui où l’on commençait à voir les cerises rougir, laissant prévoir une bonne cueillette malgré le frais printemps que nous avions eu. Il y avait eu des gelées tardives, mais l’orge avait tenu, le blé d’hiver était déjà grand et vigoureux, les fleurs des colza parsemées de rouges petits coquelicots commençaient à dorer, survolées par les raids d’hirondelles. Tout allait bien et Fernand, campé sur le bord de la route qui conduisait à sa ferme, les poings sur les hanches, dos au vieux pick-up, pouvait contempler les champs de céréales qui alternaient avec les vergers à perte de vue avec la sérénité de l’homme comblé par son métier . Heureux, il pouvait l’être cet homme de la campagne, né dans la propriété qu’avaient tenue ses parents et avant ses grands parents. Et il ne voyait pas ce qu’il aurait pu faire d’autre, ce dur à la tâche, hiver comme été, de l’aube au crépuscule . Là ou d’autres se seraient considérés au bagne, Fernand savourait chaque jour la solitude de ses terres. Ce taiseux humait les parfums et contemplait les couleurs de la végétation avec délice, sans jamais éprouver de lassitude et conscient de son bonheur.
Ce bonheur il le partageait avec Angèle la femme de sa vie. Il l’avait rencontrée au bourg pendant le bal du quatorze juillet. Il avait déjà vingt cinq ans mais il avait mis un bon moment avant de l’inviter à danser tant sa beauté et son raffinement l’avaient intimidé . Mais elle avait accepté et les dimanches suivants aussi et leur connivence était si merveilleuse qu’il voulut la présenter bientôt à ses parents. Angèle n’était pas née à la campagne comme eux, et le père avait fait la moue après son départ. « Crois-tu qu’elle voudra venir vivre à la ferme, ta fiancée? »l’avait-il prévenu. « Je trouve que sa peau est bien délicate pour supporter notre soleil » avait-il maugréé. »Es-tu bien sûr qu’elle va abandonner son École Normale pour te préparer à manger et laver ton linge, comme ta mère l’a fait toute sa vie? » Fernand avait maudit en silence cet homme du passé. Il ne ne comprenait manifestement rien de la vie moderne qu’Angèle et lui avaient en tête, de leurs projets, des connaissances qu’ils mettaient en commun. Ils se marièrent rapidement.
Le temps avait passé, les parents avaient laissé l’entreprise aux mains des plus jeunes et ceux-ci l’avaient développée et modernisée à leur idée et avec pugnacité. Ils ne s’accordaient qu’une seule semaine de vacances par an, avant la fenaison, pendant laquelle ils allaient faire une cure de thalassothérapie à Quiberon, histoire de se remettre un peu en forme, surtout le corps, parce-que l’esprit était resté là-bas, à calculer les rendements, le taux au quintal, la prochaine jachère.
Fernand n’avait eu qu’un seul regret. Angèle ne lui avait pas donné de fils. Ils n’avaient pas essayé de savoir pourquoi, mais une seule fille était née de leur amour. Marie avait rapidement pris toute la place dans la maison et dans le cœur de ses parents. Puis elle était devenue une superbe jeune fille, ressemblant beaucoup à sa mère à l’âge où son père l’avait rencontrée. Devenue étudiante, elle venait rituellement chaque deuxième dimanche de mai à la ferme pour la cueillette des cerises. Fernand se demandait si Marie reviendrait un jour lui présenter un gentil garçon qui aimerait la terre et lui succéderait. Ce jour-là il arriva, avec les autres étudiants dans le car des cueilleurs de cerises. Il s’appelait Romain, il préparait son diplôme de journaliste, il avait des cheveux longs, des yeux vifs derrière des petites lunettes rondes et des mains pâles plutôt faites pour l’écriture . Il n’avait plus quitté Marie d’une semelle, cueillant toujours dans le même verger qu’elle, toujours assis à la même table à côté d’elle. A la fin de la semaine , les jeunes gens étaient repartis main dans la main, remerciant encore leurs hôtes, leur promettant de revenir l’an prochain, espérant que le travail le leur permettrait, mais il y avait ce stage aux États-Unis, on ne savait pas pour combien de temps, c’est sûr, on ne pouvait pas le rater. Les regardant s’éloigner tout en faisant de grands gestes d’adieu il sembla à Fernand que le temps avait passé bien vite et que la campagne au joli mois de mai n’était plus aussi belle .
28 février 2012 – Textes courts – Didier Laurens
Il arriva chez nous un dimanche de mai.
Les cerises rougissaient sur les coteaux et les vallées s’égayaient des couleurs de paille et d’or. Les hirondelles, les mésanges, les bergeronnettes et les bouvreuils, en recherche de nourriture, volaient en un ballet incessant dans les jardins. Les abeilles s’affairaient dans les acacias. Ce bouillonnement et cette explosion d’ardeur qui font croître chaque fleur, s’ouvrir les granges, les écuries, les étables, c’était en mai.
Pour aller à la messe, les habitants s’étaient habillés en dimanche. En sortant de l’église, ils entraient chez le boulanger acheter le pain et la tarte. Pain béni et tartes, c’était dimanche.
Chez nous, dans la cour désertée par les tracteurs, quelques chats cherchaient querelle au chien Tumore.
Chez nous, mon père s’était mis sur son trente et un, mais son pouls cadençait quatre fois plus. Ma mère surveillait le poulet qui rôtissait et les petits pois qui mijotaient doucement sur la cuisinière.
Douze heures trente. Ma sœur l’attendait fébrilement. Mon père s’échauffait, ma mère rougissait et le poulet s’impatientait dans le four. Puis les miaulements s’étouffèrent. Devant le portail, une silhouette d’homme apparut. Ma sœur bondit au dehors tandis que mon père reculait, jusqu’à la cuisine. « Le v’là ! » Lança-t-il à ma mère.
Elle partit de chez nous, un dimanche de mai…
28 février 2012– Textes courts– Jean-Michel Kerne
Il arriva chez nous un dimanche de mai. J’avais 10 ans et je me sentais grand. Nous avions emménagé dans cette ancienne ferme depuis deux mois à peine et pour la première fois, j’avais ma chambre à moi, et j’avais un verrou. Je m’y enfermais des heures, je lisais, enfin tranquille, je rêvassais des heures devant mon atlas préféré, je construisais des cabanes avec mes draps. C’était vraiment MA chambre et si je prenais la peine de ramasser mes chaussettes sales, je savais que je pourrais laisser traîner mes billes, mes jouets désaxés et mes boites en carton. J’en profitais, j’en abusais. Quand mon frère venait grattouiller à ma porte, j’avais le choix. Parfois, je le laissais entrer ou nous sortions pour jouer à cache-cache mais je pouvais aussi le laisser devant la porte. Il pleurait cinq minutes, puis repartait et je pouvais de nouveau apprécier mon silence.
Ma fenêtre donnait sur une petite ruelle d’où je pouvais voir nos invités s’arrêter devant notre grand portail rouillé. Je les voyais s’approcher de la sonnette et je me précipitais pour les surprendre, si je les aimais bien.
Ce jour-là, j’étais assis sur mon lit quand j’entendis le bruit d’une voiture, ce qui était rare un dimanche. Je l’ai entendu s’arrêter. Je savais que l’on n’attendait personne : nos parents étaient en train de repeindre le salon et nous avions pour consigne d’être sages. Je me suis levé, je me suis approché de la fenêtre et j’ai vu un taxi stoppé devant le portail. Le chauffeur avait ouvert son coffre et il en sortait ce qui me paraissait être un vélo pliant. Il déplia en fait un fauteuil roulant avant d’aller ouvrir la portière arrière. Je le vis ensuite porter un vieillard tout rabougri dans ses bras, pour l’installer sur le fauteuil. Je vis le bonhomme lui faire signe. Le taxi démarra et ce petit vieux resta seul devant le portail, incapable d’atteindre la sonnette. Je m’apprêtais à aller prévenir mes parents quand il commença à taper sur la porte avec la canne que le chauffeur avait glissée sur ses genoux. Le bruit était assourdissant et j’entendis un cri suivi d’une bordée d’insultes venir du salon. J’arrivai au portail après mes parents qui s’étaient précipités et j’entendis le petit vieux dire d’un ton péremptoire : « Je veux renter chez moi». Cela me paraissait totalement incroyable et je commençai à rire quand je vis ma mère se pencher sur lui comme si elle le connaissait. M.Legendre, cette maison n’est plus à vous, vous nous l’avez vendue, vous vous souvenez ?
La pluie commença alors à tomber et ma mère eut pitié de ce vieux bonhomme en chemise. Elle poussa le fauteuil jusqu’à la maison et le fit entrer dans la salle à manger. Quand il vit la salle nue, des bâches et des pots de peinture partout, il se mit à trembler et il baissa la tête. Emmenez-moi dans ma chambre s’il vous plaît. Sa chambre, évidemment, c’était la mienne. Elle avait gardé, en attendant d’autres travaux, les vieux papiers jaunis qu’il connaissait et leur vue le rasséréna. Il se détendit et déclara qu’il ne bougerait pas d’ici. Ma mère se décida à téléphoner à son fils qui avait signé la vente et dont elle avait gardé le numéro de téléphone mais il lui raccrocha au nez en lui disant que son père en était à sa douzième fugue, qu’il était à l’étranger et qu’il ne pouvait rien faire. Il lui conseilla d’appeler la police pour rapatrier son vieux débris de père. Mes parents se regardèrent, puis me regardèrent et je compris que s’en était fini de ma tranquillité. Je l’ai d’abord détesté mais il a su se faire aimer, il ne voulait pas risquer de perdre sa chambre et il avait bien compris qu’il devait composer avec moi.
Quand il quitta la maison, dans un souffle, c’était six mois plus tard, et je savais déjà qu’il n’aimait pas l’hiver.
28 février 2012 –Textes courts – Laure Timon
Il arriva chez nous un dimanche de mai .
Depuis le temps qu’on l’attendait !
On en parlait déjà avant Noël. Il devait arriver en tout début d’année…
Entre nous, la perspective de sa venue n’avait pas fait l’unanimité ! il avait fallu discuter chaudement ! C’était un handicap.
Allait-il trouver sa place parmi nous, ne serait-il pas à certaines périodes un peu gênant ?
D’où venait-il précisément ?
Bien que nous n’ayions plutôt pas d’à priori sur cette question, nous nous sentions un peu inquiets quant à l’incertitude de ses origines.
Nous avions en mémoire cette précédente approche infructueuse : il devait venir des Vosges, certifié Vosgien grand teint…En fait, il venait tout bonnement de Chine !
Nous abuser ainsi sur ses origines ! On coupa court à toute tractation.
Quand on nous dit cette fois-ci qu’il s’appelait Monaco et venait de la frontière Franco-Belge, on eut un mouvement de recul, serait-ce une nouvelle tromperie ?
Avec mon humour à quatre sous, je commençai à jeter des tisons sur les braises, ironisant que moi je m’ appelais bien Gaspar et que j’étais parti de Madagascar…
Les esprits s’échauffèrent .L’affaire était mal engagée. Nous décidâmes d’ajourner l’entreprise.
Après nous être soigneusement tuyautés, la chose s’avéra être vraie, nos craintes finirent par se dissiper…mais, quand-même !
Cependant, son installation n’ était pas sans poser quelques problèmes, à régler préalablement, ce qui retarda quelque peu son arrivée.
D’abord, il fallait trouver l’homme de la situation, qui, en ce coin de France profonde, ne courait pas les ruelles, et dont c’était le secteur attitré, car autrement, il ne saurait se déplacer…
Il connaissait bien son métier, aucun souci pour lui, il allait nous arranger ça en un quart de tour, à la moindre résistance, ça ne tarderait pas, il allait lui ramoner la cheminée, vite fait, bien fait !
Pour le reste, il fallait consulter un spécialiste.
Il y en avait deux à proximité, tous deux consultés, et pas d’accord entre eux sur la conduite à avoir.
L’un affirma qu’il convenait simplement de mettre une gaine, ce qui n’hypothéquait en rien l’éventualité toujours possible dans le futur d’un réajustement plus fonctionnel.
Le second voyait beaucoup plus loin, et la facture proposée pour une telle intervention nous le laissait entendre…
Nous écoutâmes… la voie de la sagesse, concluant le marché avec celui des deux qui nous entraînait le moins loin.
Il devait venir tout prochainement, et, de toute façon, avant la fin du mois.
Il partit en voyage, simple petite pause dans le travail en Turquie, où, pour ne pas avoir de carte d’identité en cours de validité, il séjourna quelque temps contre son gré…
On n’y croyait plus. Toutes ces démarches compliquées avaient fini par jeter entre nous un froid, le sujet était devenu tabou,,on n’en parlait plus !
Et puis, contre toute attente, et à contre temps, il arriva chez nous un dimanche de mai, où nous le trouvâmes, bien installé sous la cheminée…
Le poêle à bois de la salle à manger !
28 février 2012 – Textes courts – Louis Mancy
Il arriva chez nous un dimanche de mai. Sûr que c’était un dimanche, j’avais ma robe bleue qui gratte jusqu’aux genoux, celle du jour de la messe.
Il arriva au dessert, sans crier gare. Tant pis.
Je l’ai d’abord vu de profil, le nez était droit, l’oreille discrète, et le dos légèrement voûté.
Ma mère l’a accueilli avec une politesse contenue, les effusions étaient de toute façon étrangères aux habitudes de maman. Mon père lui donna une poignée de main ferme, qu’il prolongea le temps de le guider jusqu’au salon.
C’est à ce moment que je le vis de face. D’autant mieux qu’il se plia pour me saluer. Ses yeux était rapprochés, marrons et curieux.
Mes parents m’envoyèrent dans ma chambre. Ma maladie me prive aussi de dessert. Et les grands devaient parler entre eux. J’obtempérais, comme toujours. Mais ma porte resta suffisamment insubordonnée pour happer des bouts de conversation ; les mots m’arrivaient comme par télégramme « fragile, 15 francs, conservatoire, docteur, seule ». Le bruit des chaises qui bougent m’indiqua la fin des trucs d’adulte.
« Camille, viens ma chérie, le monsieur veut te parler »
La désobéissance ne m’était hélas pas coutumière, je courus donc vers lui.
« Dis moi, ma petite, peux- tu me jouer le prélude numéro quatre ? »
Il s’était de nouveau penché pour m’inviter à jouer, sa voix était douce, et le sourire qui ponctua sa question me fit baisser les yeux.
Une émotion particulière, presque insolite, parcourut mes mains victimes d’un léger tremblement qui se répandit sur les premières mesures. Je sentais son regard, il me frôla gracieusement. Il m’impressionnait, je crois.
A la fin du morceau, le silence fut long. J’osai le regarder, il me fixait. Un regard intense, troublant et encore curieux.
Je le vis deux fois par semaine, les mercredis et les samedis, pendant trois ans. Nous débutâmes avec une Mazurka de Debussy, puis il y eut la Valse brillante et d’autres, que j’ai oubliées, définitivement.
Mes parents n’ont jamais rien vu, et moi, je n’ai jamais rien dit. Trop sage pour risquer l’opprobre, trop petite pour comprendre le mal.
Le frôlement de ce dimanche de mai ne fut qu’un avant- goût de sordide, que le prologue de l’interdit, que le début d’une vie cassée.
Il arriva chez nous un dimanche de mai, j’avais 8 ans, j’étais diabétique et douée pour le piano.
Aujourd’hui, je déteste Chopin.
28 février 2012 – Textes courts – Marie Claude Contrault
Il arriva chez nous le deuxième dimanche de mai. Nous l’attendions depuis si longtemps. Ici, dans ce lieu unique et insolite, l’attente fait partie de notre vocabulaire quotidien. Il y a toujours quelque chose à attendre et il y a toujours quelqu’un qui attend. Peut être car nous vivons au bout de la terre, beg ar lann comme nous le traduisons ici. Peut être car beg ar lann c’est encore plus loin que le Finistère et c’est notre choix de vie. Les vieux attendent, les femmes attendent, les enfants attendent. Ils attendent les hommes qui naviguent si loin et si longtemps et qui ne reviennent pas toujours.
L’hiver avait été si rude, anormalement dur, habité de tempêtes successives qui avaient usé pierres et hommes, phares et rochers. Le vent d’ouest avait continuellement balayé la lande désertique et solitaire. Chacun s’était recroquevillé dans les maisons aux lourds murs de granite, en attendant les jours meilleurs. Les bâtisses si proches l’une de l’autre courbaient le dos courageusement et bravaient les terribles tornades, mêlées de sel et d’embruns glacés.
Mars n’avait rien apporté, à peine quelques rayons de soleil égarés et encore tristes. Les vagues étaient peut être moins noires et moins hautes mais elles rugissaient toujours autant quand la marée montait. Les bateaux de pêche étaient toujours aussi chahutés comme des fétus de paille sur les vagues infatigables. L’écume entourait l’ile comme une barrière infranchissable. Les jours passaient, agressés jusqu’à l’usure par les tempêtes d’équinoxe. Le printemps avait décidé de nous oublier. Les terriens aussi.
Et il arriva enfin le deuxième dimanche de mai. Sans prévenir, sans invitation, sans excuse. Il arriva comme la surprise d’un dimanche de mai. Il était différent de tous les dimanches car il apportait enfin ce que chaque habitant de l’ile attendait depuis si longtemps. C’était un dimanche à savourer, à préserver, à prolonger, à partager, à aimer. Un dimanche de soleil et de calme, rien que pour nous. Un cadeau de la mer, un océan qui se reposait enfin et qui s’offrait à nous. Un dimanche qui nous faisait découvrir un nouveau paysage, avec des mélanges de couleurs incomparables, bruyères et genêts entremêlés. La mer nous invitait alors au plus somptueux des spectacles. Le son et lumières du printemps. Les vagues s’endormaient légèrement avec les premières chaleurs. Il y avait comme des étincelles à la surface de l’océan qui semblaient nous attirer et nous inviter pour le nouvel été.
Il arriva enfin chez nous le deuxième dimanche de mai. Beg ar lann revivait et le bout de notre terre devenait simplement un bout de bonheur, rien qu’à nous.
28 février 2012 – Textes courts – Philippe George
Il arriva chez nous un dimanche de mai. Personne ne savait d’où il venait. Il semblait sortir de nulle part, comme quelqu’un qui n’aurait aucun passé, aucun souvenir. Il s’installa dans la petite maison au bout du village, celle qui était inoccupée depuis une dizaine d’années.
Dès le lendemain, on remarqua des choses étranges. Dans son jardin, tous les légumes et toutes les plantes étaient devenus oranges, même les arbres. D’un bel orange vif. C’était très coloré et très original, mais très perturbant.
Dans son comportement aussi, on s’aperçut très vite que ça ne tournait pas rond. Quand il marchait dans les rues du village, c’était vraiment bizarre. Il faisait dix pas en avant, puis quatre pas sur le côté gauche, puis deux pas en arrière. Et, tous les trente mètres, il levait la tête et scrutait le ciel pendant de longues minutes. Ça ressemblait à la marche d’un crabe, mais en plus élaboré.
Il était habillé d’une veste beige trop large et d’un vieux jean rapiécé. Mais au bout du cinquième jour, on se rendit compte qu’il cachait quelque chose sous sa veste. En fait, il dissimulait un bras, son troisième bras, car il en avait trois !
Plus personne n’était tranquille dans le village. On n’en était même plus à émettre des hypothèses, on avait carrément peur.
C’était qui ? Ou plutôt, c’était quoi ? Qui nous l’avait envoyé ? Dans quel but ?…
Et puis, il y eut ce gros orage lors de cette nuit du mois d’août. Un orage terrible accompagné d’une tornade, comme il y en a quelquefois par chez nous. Au petit matin, les villageois hébétés osèrent enfin sortir pour constater les dégâts. A la place de la maison de l’étranger et de son jardin orange vif, il n’y avait plus rien. Absolument plus rien.
Tout avait été nettoyé, aspiré, neutralisé, désintégré.
28 février 2012 – Textes courts -Sylvie Antoniw