Il était une petite fois…
« Il y avait une petite fois pendant la canicule, un type qui était assis devant une fenêtre ouverte. »
Il avait eu la malheureuse idée de sortir comme il en avait l’habitude en ce début d’après-midi de la fin du mois d’août. Chez lui, l’épaisseur des murs de sa vieille maison lui avait donné une fausse impression de fraîcheur et il avait même pris la précaution, qui paraissait maintenant risible, d’emporter avec lui un gilet de coton. Il avait mis quelques centaines de mètres avant de se rendre compte de l’immobilité de l’air et du calme étrangement profond qui régnait dans les rues. Il avait continué à marcher en intériorisant petit à petit mais sans sans se le formuler, ce qui lui paraissait étrange. La commère du bout de la rue avait miraculeusement disparu, il n’y avait personne devant la boulangerie du village et même les chats semblaient se cacher. Il avait machinalement jeté un coup d’œil au gros titre du journal local qui apparaissait derrière la vitrine du café-tabac ; il ressentit la nouvelle en même temps qu’il la lut : « 3ème jour de canicule, déjà 47 morts dans le département.
Trois jours de canicule, cela faisait effectivement trois jours qu’il n’avait ni allumé la télé, ni lu un journal, ni répondu à un appel. Trois jours à se remettre de la cuite mémorable qu’il avait prise jeudi dernier pour fêter le départ en retraite de Jean-Claude.
Alors qu’il commençait à se remettre et était sorti comme tous les dimanche pour aller voir sa grand-mère, la chaleur l’avait à nouveau privé de tous ses moyens. Il s’était senti vaciller, incapable d’avancer. La seule ombre qu’il avait aperçue était devant la fenêtre de la vieille Mauricette. Le tilleul de la place abritait la maison du soleil et elle avait pu garder sa fenêtre ouverte. En temps normal, il ne se serait pas attardé devant cette maison. Il haïssait la vieille Mauricette qui s’était érigée en modèle de vertu et prenait à partie quiconque croisait son chemin. Personne ne savait comment elle se débrouillait mais elle semblait connaître les mauvaises habitudes et les petits secrets de chacun. Croiser son chemin, c’était passer au tribunal. Il y avait déjà plusieurs années de cela, elle l’avait accusé d’avoir provoqué la crise cardiaque de sa mère en ratant son baccalauréat. Il en avait été tellement surpris qu’il n’avait rien riposté mais cette accusation et le ton sur lequel elle avait été faite, le réveillaient encore parfois la nuit.
Mais ce jour-là, il avait eu besoin d’ombre et il avait pensé que la vieille Mauricette devait dormir comme une bienheureuse, qu’avec un peu de chance, elle ne bougerait pas de son lit. Voilà comment, il s’était retrouvé assis, par terre, devant cette fenêtre après avoir calé son crâne juste sous le rebord de celle-ci.
A peine s’était-il assis qu’il avait entendu un bruit. Il eut peur, tout d’abord puis essaya de l’identifier. Il entendait une plainte étouffée, des petits cris réguliers. Il pensa tout d’abord que la vieille se sentait mal, il allait intervenir quand il se rendit compte qu’il s’agissait de gémissements amoureux ! Il se sentait soudain gêné et incroyablement curieux : qui pouvait bien partager le lit de cette harpie ?
Il décida d’attendre le temps qu’il faudrait mais il lui fallait une réponse.
A la tombée de la nuit, il lui fallut se rendre à l’évidence, personne ne sortirait de chez la vieille Mauricette et les cris amoureux étaient aussi les cris de regrets d’un corps que la chaleur avait tristement réveillé.
Quand il se leva, un souffle d’air se décidait à traverser les rues sombres du village et quelques habitants mettaient enfin le nez dehors. Il se mit à son tour en marche. En quittant la rue, il se retourna et en apercevant la vieille Mauricette qui fermait ses volets, il éprouva un étrange sentiment de fraternité.
03 janvier 2012 – Nouvelles – Laure Timon