Papa, t’es mort?

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26 / 07 / 2016
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Papa, papa, t’es mort ?
Papa, non papa pas encore, attend un p’tit peu, juste une minute, soixante secondes, j’t’en supplie retiens ton souffle sinon tu vas me faire pleurer, j’ne veux pas pleurer, tu n’as pas le droit de m’faire pleurer ou alors tu devras me consoler avec tes bras comme autrefois.
Je pleure dedans à l’endroit qui serre les tripes et les viscères, vois papa ce que tu vas faire de moi!
T’es décédé, t’es cédédé, arrêtes t’es pas drôle !
J’ai tellement redouté cet instant.
C’est inéluctable, ce mot, insupportable, désespérant toute notre vie durant.
La vieillesse a peu d’espoir du retour en liesse de la jeunesse, la grande prêtresse en a décidé autrement avec pour atout cette saleté de faucheuse à la solde du firmament.
Forcément elle traîne ses guêtres autour des moins vivants, profitant du peu d’air ambiant pour se rassasier d’un vieux branlant, tel un vampire avide de sang.
Nous étions en nombre pourtant à tenter l’impossible par nos gestes de tendresse de peau à peau, de baisers et de caresses.
Comment combattre le dedans envahi de poison impropre à la consommation ?
Comment combattre le coma dépassé insultant les machines les plus sophistiqués ?
Comment combattre l’appel de l’infini grand large quand on a plus l’espoir de se revoir vivant  mais rampant sous la terre  pour toute compagnie un futile ver luisant.
Mon tour viendra et je serai d’Artagnan, Angela Davis, Mandela.
Je me défendrai jusqu’à ce que mort s’en suive.
Et je vengerai les âmes en peine qui préféraient la vie, l’amour et le bon vin.
Je tordrai le cou de rage à ce suppôt d’immondices qui a volé  tant d’innocences profitant des moments d’inhumaines violences.
Je n’ai pas peur, je suis prête.
Mes êtres chers sont dans mes oreilles jusqu’aux orteils, la bagarre ne fait que commencer.
Je serai fière et forte même si c’est le néant qui m’attend.
Le néant rétablira la juste équité.
Le néant sera mon allié.
Les vierges pourront se rhabiller et niquer les martyrs, pauvres hères en manque de rire, manipulés de la folie cynique de tristes sires.
Anne Franck et Gavroche enlacés de tous les mioches dans l’éternité.
Que la vie pourrait être belle !
Si chacun descendait sa poubelle sans se méfier
des détritus des humanus olibrius.
On est vraiment peu d’chose !
Peu d’chose, on est vraiment !
Je le regardais, je le humais, sa respiration se faisait de plus en plus faible et elle s’est arrêté tout doux au moment pile d’une expiration inféconde de gaz hilarant.
Ses yeux bleus les jours d’été, verts les jours d’hiver se sont flouté, aveuglés de millions étincelles d’un feu décrépité.
En une minute, sa bouche s’est tourné vers l’intérieur et ses joues se sont creusées essayant de se rejoindre fraternelles. Son teint s’est ciré dans les tons blonds cendrés des épis oubliés de la fenaison.
Sa tête s’est rétrécie.
On est peu d’chose, vraiment !
Je le regardais, je le touchais il était encore chaud, je voulais qu’il reste chaud. Je serrais ses mains, je collais ma joue contre la sienne.
Je l’observais depuis trois jours, deux nuits sous des néons hagards.
Mes yeux étaient secs, affolés.
Il est mort, mort, mort !
Je le connaissais depuis si longtemps.
25 juillet 2016 – Textes courts – Marie Batllo

2 Commentaires

  • Pezennec Denise

    Rien de tel que l’écriture pour poser à côté de soi les peines immenses, les grandes douleurs.Les contempler, les examiner et doucement les dominer et se reprendre en mains.

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    • Marie Batllo

      Merci,Denise.
      Je ne suis pas encore au stade de Les contempler.
      Mais il est vrai que l’écriture permet d’extraire les pensées nuisibles, les mots s’étalent une fois pour toute.
      D’ailleurs les relire n’a pas d’intérêt. De nouveaux mots apparaissent plus doux, plus calmes.
      Se reprendre en mains est une autre affaire certes il le faudrait mais cet impératif ne convient pas à mes émotions. Je fais au mieux, j’écris.

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