L’embryon

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04 / 06 / 2016
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Le mot est lâché, embryon, je suis un embryon.
Jusqu’à présent, si ma mémoire est bonne, j’étais divisé avec moi-même.
Un rencontre fortuite a provoqué mon existence.
Cette rencontre était inespérée, croyez moi !
Je n’aurai pas payé un kopeck sur la possibilité de cette éventualité.
Si on remonte le temps, je n’avais aucune chance un jour de voir le jour même de nuit.
Et pourtant, il ne peut en être autrement.
Je devais naitre exactement quand j’allais naitre.
Sinon il aurait fallu que l’histoire fut différente. Et ça c’est impossible à vérifier.
L’évidence est que j’allais exister contre ma volonté.
Ai-je seulement été désiré?
En tout cas je suis toujours là, accroché. On aurait pu m’éliminer aspirer ou à l’aiguille à tricoter.
On avait sans doute décidé de me garder ou peut être qu’on m’ignorait, il se peut que je sois le seul à me connaitre et à m’apprécier.
Mais je n’étais pas encore sorti d’affaire, je n’avais qu’à laisser faire.
D’ailleurs comment me suicider,  pauvre embryon qui voulait s’ foutre en l’air dans l’ventre de sa mère.
Si j’avais une bouche, j’en rirais.
Je suis classé dans les mammifères donc vertébrés à sang chaud. Comment je le sais?
Hé, hé! Rappelez vous, essayez, le cerveau a tout enregistré.
Il est vrai que c’est une étuve d’enfer cet endroit d’obscurité, une serre à bébé mystère.
A cet instant, j’étais encore asexué.
Je flottais dans un univers amniotique fantastique.
Des bruits balbutiés s’introduisaient dans l’habitacle miracle, sauvegarde de mon moi encore rien ou pauvre petit chose.
Des rumeurs, des humeurs se mêlaient à mes bruits intérieurs, ce brouhaha m’incommodait et j’en fis part en haut lieu.
Je me jetais contre la poche du parloir jusqu’à provoquer des spasmes suivis de renvois alimentaires de ma logeuse temporaire.
Le temps filait.
Je grossissais malgré moi, c’était sûr on allait me virer en janvier malgré l’arrêté d’interdiction d’expulsion hivernale.
J’allais naître, nu, inculte, dépendant, devoir me forger une personnalité, me fader la scolarité, ne pas fumer, ni boire ou de façon modérée. Contrôler mes émotions, mes peurs et mes actions pour ne pas fâcher les codes de la société.
Quelle perspective, j’étais déjà fatigué.
Ça y est, c’était parti, l’extérieur m’aspirait.
Le tunnel s’écartait, une lueur apparaissait.
J’avais peur.
Un courant d’air froid faufila mon front et mon faciès.
Ma tête sortait, je quittais définitivement mon univers douillet. Ma vue se bornait à une touffe de poils frisotant d’humidité.
D’un seul coup mon corps suivi ma tête et je vis le jour à 13h le 13 janvier 2013.
A ma grande surprise une haleine chaude rapide me séchait.
Une truffe froide me reniflait, des coup de langue me reluisaient, sensés me rassurer.
Je vis la tête de ma génitrice, sous mes yeux mi-clos.
Interloqué, je devinais une tête de caniche.
Un canidé, un sac à puces qui pue !
Je grognais, je jappais, je m’ébrouais.
C’est avec joie que j’avais à nouveau évité l’état d’humanité.
Ouf, avec un peu de chance je serai bichonné et j’aurai juste à donner des petits signes de reconnaissance sans trop me fouler.
Ouaf!

Le 3 juin 2016 – Nouvelles – Marie Batllo

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