Vivre en maison de retraite

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18 / 10 / 2012
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Vivre en maison de retraite

Pourquoi vivre en maison de retraite ?

 

Quand tous les enfants ont quitté le nid, quand ils sont devenus parents , qu’ils ont un travail, des responsabilités familiales, professionnelles et citoyennes, vient pour nous, parents déjà âgés, l’heure du questionnement. Nous n’avons plus le même rythme de vie, nos santés prennent des coups ; qu’allons-nous devenir si nous ne pouvons plus répondre à tous les appels extérieurs ?

Nous vendons la maison que nous avons fait bâtir (Montcenis) ; elle est devenue trop grande ! Nous nous installons à Auxerre, la petite ville que nous aimons bien, proche de la maison de famille qui continue à nous rassembler et abrite tant de souvenirs ! Pourtant ce n’est pas facile de quitter des amis, une belle région où l’on a vécu pendant quarante années : c’est un premier détachement !

 

A près de 80 ans, une invalidité quasi subite me tombe dessus ; je n’ai plus grand-chose à espérer et pourtant après de longs mois de rééducation intensive, je retrouve la verticale, une marche hésitante, des jambes douloureuses, j’ai encore un peu de tête je vis ! mais à quel prix ! Il nous faut rester à proximité de « mes » hôpitaux dijonnais ; et s’ajoute à tout cela un lourd handicap pour celui qui chemine avec moi depuis si longtemps !

Les interventions chirurgicales se succèdent à un rythme accéléré ; malgré des soins adaptés il faut se dire qu’Henri perd sa mobilité, son indépendance et le plus tragique, le plus douloureux pour toute la famille c’est de constater la dégradation rapide de ses facultés intellectuelles ; un placement devient nécessaire .

 

Aidée de mes enfants qui portent la souffrance de leurs parents, la recherche d’une maison adaptée s’impose ; Perrigny se profile à l’horizon… J’insiste pour une entrée à deux, mais il n’y a qu’une place possible ; elle sera pour mon mari qui accepte mal une séparation forcée et l’obligation de rester dans un fauteuil. Enfin, j’arrive à Perrigny deux mois plus tard, fatiguée mais pleine d’un espoir vite brisé : nouvelles hospitalisations de celui qui m’avait tant réclamée et attendue ! La souffrance, le coma, l’aide médicale inoubliable, la présence de tous les siens dans l’attente d’une fin à laquelle on ne croit pas, des nuits de veille, des sourires qui consolent, l’arrivée des enfants, de mes frères, des ami(e)s accouru(e)s pour être avec nous et chanter doucement les refrains qui nous unissent. Puis … restée seule avec lui dans cette chambre d’hôpital, une vie s’éteint discrètement, paisiblement tandis que le soleil de mai brille sur la ville en pleine animation.

 

Le poids du deuil est lourd ; malgré tout, il faut faire face et accomplir les inévitables tâches que la mort impose, les nombreuses démarches administratives qui sapent le moral et n’en finissent pas, croire cependant que la vie continue, même en plein désert !

 

Refusant la solitude, sans l’influence de qui que ce soit, ma décision est prise : je retrouve coûte que coûte la maison de retraite, les résidents qui me soutiennent, les indifférents, le personnel accueillant, des gestes de sollicitude et des moments tranquilles pour évacuer les tourments par la lecture (Marie Noël et Christian Bobin sont mes compagnons de route), l’écriture qui libère, les échanges familiaux réconfortants et surtout la tendre présence de mes enfants et petits-enfants !

J’apprends à rester vivante dans cette collectivité que je découvre chaque jour depuis deux ans et demi ; « j’apprends à être vieille » avec tous ceux qui cheminent comme moi sur des routes pavées d’incertitudes, d’attentes et de souvenirs d’un passé qui contient tous les âges de notre vie : « l’enfant qu’on a été, le jeune qui a mûri, le vieillard qu’on est devenu ». Les semaines, les mois passent, j’ai ma place dans cette maison qui m’était pourtant étrangère, j’ai peut-être un rôle à tenir. Ici, on pourrait se laisser vivre mais on essaie de ne pas être des inutiles ; ici, on est en retraite mais on cherche la communication avec l’extérieur : visites toujours attendues, radio, télévision, internet pour quelques-uns, téléphone, journaux, livres sont nos outils indispensables ; on a la chance d’avoir des animations et des ateliers qui nous aident à préserver nos mémoires et à garder nos esprits en éveil ; pour combien de temps encore ?

Certes l’optimisme n’est pas toujours au beau fixe ; les grandes fatigues, les maladies, les infirmités, les décès des résidents que l’on a connus « bien d’aplomb », nous font parfois sombrer dans l’ennui, la mélancolie, la tristesse et même la souffrance ; il nous faut alors rassembler nos forces et nos amitiés pour surmonter ensemble les moments de doute et faire encore quelques petits projets.

 

La maison de retraite n’est peut-être pas toujours le bon choix et n’est sûrement pas accessible à tous mais c’est mon choix ; je ne sais pas faire marche arrière et j’ai besoin des autres pour vivre ; chaque jour est une tranche de vie et de nouvelle expérience.

 

« La vie est un cadeau dont je défais les ficelles chaque matin, au réveil » Christian Bobin

Octobre 2012 –Textes courts– Marie Thérèse G.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 Commentaire

  • Pezennec Denise

    Merci Marie-Thérèse de la confiance avec laquelle vous nous offrez votre vie. Une vie. La vie.Vous le faites simplement, avec humilité.Mais vous nous donnez une très belle leçon d’optimisme même si vous dites qu’il n’est pas au rendez-vous chaque jour.Avec vous la maison de retraite acquiert son vrai statut de lieu de vie commune encore supportable tant qu’on veut y tenir sa place. Vous m’avez fait oublié un moment l’image sinistre tellement véhiculée de « maison-mouroir » trop souvent dite « dépourvue d’humanité ».Marie-Thérèse, je vous imagine avec un beau sourire. Bruno me le confirmera certainement.

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