Le Clochard

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11 / 11 / 2011
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Consigne : la photo d’un clochard

J’ai toujours gardé la photo de ce clochard ; elle m’a accompagné dans tous mes déménagements. J’en ai perdu bien d’autres, j’en cherche encore certaines mais celle-ci, je ne l’ai jamais perdue de vue. C’est mon père qui l’a prise dans la rue dans laquelle nous habitions juste avant la guerre, à la fin des années 30. Il possédait le seul appareil du quartier. Il s’en servait peu mais un jour, je l’ai pourtant vu se placer devant cet homme. C’était un homme que personne ne regardait, un homme qui faisait peur aux enfants. Je changeais de trottoir quand je devais le croiser. Il avait le regard vide, sentait le mauvais vin et était accompagné de l’odeur des ordures qu’il ramassait à la fin des marchés. Mon père, lui, le saluait toujours très respectueusement ; soulevait son chapeau, lui lançait des : « Bonjour Monsieur » et allait même parfois lui serrer la main. En général le vieil homme se détournait. Il regardait mon père comme s’il ne le voyait pas. Le jour où, il a pris cette photo, mon père s’est retourné vers moi et il m’a expliqué:

« Tu sais, cet homme, cet homme est un génie. Jack Sipio : C’est Le réalisateur des débuts du cinéma. Il a été célèbre il y a 20 ans. Son acteur fétiche était son ami d’enfance. Le nom de Frank Demont te dit quelque chose quand même ? »

Ils étaient monté à Paris ensemble avec une seule idée : le cinéma, un seul but, devenir célèbres.

Et ils ont, en effet, rapidement connus le succès ; on les voyait dans les soirées les plus chics aux bras des plus belles actrices. Toujours très élégants, toujours brillants, toujours ensembles. C’est dans ces soirées que Frank a commencé à boire. Il en a rapidement pris l’habitude. On l’a vu gai, puis saoul à chacune de ses sorties publiques. Ensuite, il s’est mis à boire dés le matin, il est devenu agressif. Sur les tournages, il était de plus en plus difficile à gérer : il arrivait en retard, oubliait son texte, insultait ses partenaires. Un jour, c’était prévisible, M. Jack a choisi un autre acteur comme vedette de son film. L’après-midi même, juste après l’avoir appris, Franck a donné rendez-vous à son ami au premier étage de la tour Eiffel. Dés qu’il l’a vu arriver, il a sauté en criant : « Un ami, c’est quelqu’un qui vous connaît bien et qui vous aime quand même ». Il est mort, bien entendu. Jack Sipio n’a plus jamais tourné de film. Il oublie son chagrin dans l’alcool et si tu t’approches, tu pourras peut-être l’entendre parler à son ami. Toujours la même phrase : « Allez, c’est toi qui a le rôle, toi et personne d’autre. Je t’aime »

12 octobre 2010 – Textes courts- Laure Timon

 

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