Obsession

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02 / 07 / 2017
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-« C’est qui ? »

Elle me tendit un vieux cliché et me regarda droit dans le yeux. Elle farfouillait dans une antique malle du grenier de la vieille maison de famille.

Je regardais la photographie datant certainement des débuts de cet art et ne pus réprimer une réaction. Je sentais encore son regard sur moi. Un sourire frisait sur ses lèvres et sa fossette faisait son grand retour. Les yeux avaient perdu leur sérieux et une vague de malice les traversait.

-« Un lien avec ta mère, peut-être ? »

Le ton se voulait badin mais il cachait difficilement la montée de son rire communicatif et cristallin. Sous la pique, je tentais de ne pas céder et gardais difficilement mon sérieux.

  • « Aucune idée. Je ne sais pas qui est cette ….

  • « femme ? demoiselle ? personne ?…»

Elle fut interrompu par son rire qui lui échappait. Une cascade se déversa dans le grenier et m’emporta également vers l’hilarité.

– « Une cousine peut-être ? » réussit-elle à articuler entre deux rires.

  • « N’importe quoi, il faut toujours que tu te moques. »

Je tentais de reprendre sans aucune réussite mon sérieux. Je savais qu’elle allait laisser libre cours à son esprit fantasque et que le rire ne nous quitterait pas de si tôt.

  • « Une amoureuse transie d’un de tes aïeuls peut-être ? Tu ne m’as pas raconté qu’un des grands-oncles de ta mère avait perdu la raison avant la première guerre mondiale ? »

Voilà, elle était lancée, je ne pouvais l’arrêter.

Elle me reprit le vieux portrait en pied et le tourna pour chercher si une vieille écriture avait apposé le nom de cette étrange petite femme. Mais rien de lisible.

Elle scruta l’image à nouveau, le coin de ses lèvres remontant dangereusement jusqu’aux yeux et son nez se retroussant au plaisir de ce qu’elle allait dire. 

Il est vrai qu’il avait de quoi alimenter pas mal de plaisanteries ce portrait. Dans un décor de studio qui se voulait boisé, mais qui faisait nature très morte, se tenait une étrange petite personne toute endimanchée. Je ne sais ce que le photographe avait tenté dans sa prise mais le résultat tenait de la photographie de phénomènes de foire. Une femme minuscule se tenait debout devant un morceau de tronc d’arbre. Elle posait sans regarder l’objectif contrairement à l’usage. Elle était tellement petite qu’elle devait être naine. Mais plus que sa hauteur c’est sa corpulence qui marquait l’oeil. Elle était plus que grosse et aucun corset ne marquait son absence de taille. Sa robe claire ne se terminait pas en un col travaillé tout dentelle car l’imposant visage semblait poser directement sur ses épaule. Ni taille, ni cou pour ce petit corps. Le visage était également hors norme tout en rondeur et en dureté. Point de sourire pour donner à son menton volontaire et ses joues de titan un air moins sévère. Finalement, son regard hors champ permettait peut-être un peu de douceur. Il semblait aussi noir que les cheveux laissés long mais cachant difficilement des oreilles inversement proportionnées à sa taille.

A bien regarder, la pose était surprenante. Une maîtresse femme dans un corps de naine obèse. Elle prenait appui sur son bras droit contre la souche d’opérette comme adossée à un coin de bar. Sa main gauche tenait un éventail, en plumes, immaculé. Il était fermé mais on la sentait prête à l’ouvrir dans un claquement sec pour laisser échapper un ordre. A son air renfrogné et dur, j’avais du mal à imaginer que cette pose soit une demande du photographe. Elle ne pouvait émaner que d’elle.

Roxanne était venue s’assoir à mes côtés et regardait comme moi cette dure petite femme qui malgré les années semblaient mépriser nos moqueries et était prête à en découdre.

– « Tu crois qu’elle a aimé ce portrait ? »

J’espérais sincèrement. Et pour les deux. Dans un premier temps pour elle, parce qu’elle ne semblait pas être femme à se contenter de peu. Pour lui, car je n’aurais pas aimé être le courroux de cette dame. Un peintre de cour aurait fait du photoshop avant l’heure. Il aurait ajouté quelques centimètres, désépaissi la silhouette et le visage et éclairci le regard. Si il avait été audacieux, il aurait peut-être même esquissé un sourire énigmatique. Le photographe l’avait livré elle telle qu’elle était à cet instant là.

  • « Une idée de qui elle est ? 

  • Honnêtement, aucune.

  • Tu n’as pas souvenir d’avoir entendu des gens de ta famille parler d’une…, elle hésita et poursuivit sur un ton appuyé écarquillant ses yeux rieurs, naine ?

  • Non, je pense que je me serai souvenu de ce genre de détails Roxanne. »

Elle m’embrassa sur la joue et me reprit la photographie.

  • «  Damien, tu lui trouves des airs de famille…

  • Arrête avec ma mère.

  • Non bien sûr, je te taquinais. Mais avec d’autres personnes. En tous les cas, elle est liée avec vous sinon pourquoi cette photo se trouve dans cette malle au milieu des autres ? »

Elle m’indiquait de sa main de pianiste d’autres clichés datant probablement de la même époque où des personnes toutes aussi inconnues posaient avec prestance pour l’éternité.

Elle continuait de fouiller dans cet amas.

  • « Peut-être qu’il y en a une autre d’elle ? Tu penses que c’est qui ? Une enfant cachée ou illégitime ? A moins que ça ne soit une fiancée potentielle d’un des hommes de la famille ?

  • Roxanne, ne t’emballe pas. Je n’en sais rien.

  • Tu demanderas à ta mère ?

  • Non merci, ma chérie. Je te laisse faire quand on la verra.

  • Tu n’es vraiment pas curieux. Tu n’as pas envie de savoir ?

  • J’ai très bien vécu avant, je pense réussir à dormir cette nuit. 

  • On en reparlera mon chéri parce que quand même elle n’est pas commune. »

Je me trompais, la petite femme volontaire m’a hanté plusieurs nuits et c’est pour retrouver mon sommeil que je me suis lancé depuis à sa recherche.

16 mai 2017 – Nouvelles – Emmanuelle Dal Pan

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