J’avais alors pour maîtresse, une drôle de petite femme…

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02 / 01 / 2017
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J’avais alors pour maîtresse, une drôle de petite femme.

Quand tu me demandes parfois pourquoi j’en suis là, je ne sais que te répondre.

Tu me connais, je me réfugie dans la facilité et la banalité. Tu sais combien il est facile quand on est sans aspérité d’utiliser des lieux communs.

Jamais tu ne m’as dit alors que tu étais au plus mal, que tu n’allais pas bien. Tu as joué la carte de la fatigue, celle du stress de nos vies ou celle du temps qui n’est plus comme avant… Tu le fais, je le fais aussi, il en est ainsi. Tu as beau me regarder en louchant, ce qui est une de tes habitudes charmantes quand tu te concentres, tu ne peux le nier. Alors, le pourquoi du comment, tu ne vas pas me le faire avouer aussi facilement.

Je pourrais une nouvelle fois t’englober le tout dans un récit digne d’une saga hollywoodienne. Cependant par respect pour toi, je ne le ferai pas.Tu es mon ami, mon compagnon, je te dois cette vérité. Il me faut me libérer de cette carapace de bric et de broc et paraître devant toi tel que j’étais alors. J’espère seulement que tu ne te détourneras pas et que tu resteras auprès de moi.

C’était il y a bien longtemps, même si pour nous le temps n’est pas compté de la même manière. J’étais jeune et bête, je te le concède. Ce genre de mâle que nous trouvons maintenant arrogant et niais. J’avais alors pour maîtresse, une drôle de petite femme. Elle m’adorait. Elle me vénérait. J’en faisais ce que j’en voulais et j’adorais ça. Quand elle m’appelait, m’attirait vers elle, je la snobais, et, je te l’avoue, ça me plaisait.

Notre relation était basée sur mon bon vouloir. Je la possédais. Dès qu’elle pensait avoir fait de moi un pantouflard, je disparaissais. Je la laissais seule et la regardais se décomposer. Plus elle me cherchait, plus je m’éloignais. J’attendais cet instant où elle pensait m’avoir perdu à tout jamais pour réapparaître. Je n’expliquais rien et je me contentais de l’envoûter de mon regard. Elle oubliait les nuits sans sommeil, les attentes anxieuses et m’embrassait comme jamais. J’étais son pacha, son maître.

J’aimais jouer avec ses sentiments et mes escapades s’allongeaient. Par contre, si elle recevait, je le voyais et réapparaissais pour qu’elle ne se concentre que sur moi.

Tu te doutes combien je regrette ma muflerie aujourd’hui.

Elle était mienne, j’étais son tout. Je n’ai pas vu le coup venir. Je n’ai pas voulu voir les signes. J’avais bien remarqué quelques préparatifs, mais je croyais en ma toute puissance. Elle devenait encore plus collante, voulant contrôler mes allers et venues. J’ai voulu frapper fort et lui faire payer cette audace inaccoutumée. Alors, je suis parti : pas un jour ou deux comme à mon habitude, non bien plus. Je sentais déjà la joie des retrouvailles et le rayonnement de mon pouvoir sur elle quand j’ai décidé de réapparaître à sa porte.

Mais tu as déjà deviné, elle n’était plus là. L’appartement était vide.

Tu vois, mon vieux Mistigri, ce jour là, j’ai enfin compris le sens du mot maîtresse et j’ai commencé ma vie de chat des rues.

04 octobre 2016 – Textes courts – Emmanuelle Dal Pan

1 Commentaire

  • Pezennec Denise

    je viens de découvrir votre texte. J’ai bien aimé. Surprise finale bien amenée,Confidence d’un vieux matou bien malheureux.D’autres « amants » regretteraient -ils aussi sincèrement leur Maîtresse en sachant reconnaître leurs torts…

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