L’occupation de mon village (1)

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07 / 07 / 2015
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L’occupation de mon village

Je dédie ce travail de mémoire consacré à l’occupation de mon village, Fleury la Vallée, à Mr Lottier, son instituteur et à sa fille Madeleine, aujourd’hui décédés et qui m’en firent la relation, quand je n’étais encore qu’une jeune femme. Marité Gelain.

Le 15 juin ranime toujours des souvenirs gravés dans nos mémoires ; c’était au temps de notre grande enfance et notre adolescence :

15 juin 1940, l’exode, la conquête allemande, l’occupation.

15 juin 2015, soixante-quinze ans après, nous n’avons sans doute plus le même regard sur ce que nous avons vécu, mais le raconter, je le souhaitais avant que la mémoire ne flanche trop ; c’est grâce à Monsieur Lottier que je vais essayer de vous faire partager quelques événements, notés, rassemblés soigneusement par notre instituteur sous le titre : « Mon village sous l’occupation » ; ça s’est raconté en famille ou entre anciens du pays aujourd’hui disparus ; les derniers témoins sont rares.

9 juillet 1940, communiqué préfectoral :

« La police française reprend de nouveau et dès maintenant le service de la sûreté ; elle portera l’ancien uniforme et des armes blanches ; les armes à feu lui seront interdites. Les montres devront être avancées d’une heure ».

Les premiers contacts avec l’occupant se font sans heurts ; il ne faut pas oublier que notre village est, comme les autres, traumatisé par la défaite, que celle-ci est acceptée ; qui donc parle de l’appel du 18 juin ? L’ennemi est correct, pas de sévices, pas de brimades. Chaque jour, ses soldats défilent dans nos rues en allant à l’exercice et en chantant et leurs bottes martèlent notre sol ; ils sont chez eux ; dans notre boutique, ils achètent de tout presque jusqu’à épuisement de la marchandise, du féminin, surtout, qui partira en Allemagne ; dans nos magasins, ils payent régulièrement, avec le

mark d’occupation, c’est à dire à notre santé ! Leur lieutenant parle un français parfait ; certains disent même : « ils sont bien ces garçons » ; Cela leur suffit qu’ils ne soient pas les Teutons ventrus et gonflés de bière de 1914 ; mais les bottes sont restées, elles ! »

2 octobre 1940, au village, il y a vingt-cinq prisonniers en équipe agricole et les quatre congés de captivité dont fait partie notre instituteur, Monsieur Lottier ; tous sont contrôlés, ont un numéro d’immatriculation. Monsieur Lottier raconte : « les prisonniers en équipe agricole circulent librement et ont droit à l’un des trois cafés du bourg, le dimanche, les deux autres étant réservés aux Allemands ; rassemblement bi-hebdomadaire de contrôle près de la kommandantur, en tenue, brassard P.G. ».

Monsieur Lottier est secrétaire de mairie ;confronté à des situations imprévisibles, parfois drôles, son rôle n’est ni facile, ni enviable. Fin octobre 1940, le lieutenant allemand monte à la mairie et s’adresse au secrétaire : «  Mon adjoint voudrait un poste de radio dans sa chambre, faites en donc part au maire pour qu’il en réquisitionne un … » Le maire, excellent homme, mais âgé et fatigué décide d’attendre ; quelques jours passent, on n’entend plus parler de rien et puis deux officiers arrivent ensemble à la mairie ; le maire n’a pas encore trouvé de poste ; mauvaise humeur des deux hommes ; il faut que le « bourgmestre » fasse la réquisition demandée ou qu’il donne le sien ; Monsieur Lottier explique que le maire est âgé et ne peut agir ainsi.

    • Quel âge a-t-il donc ?

    • 76 ans

    • Notre Fuhrer, Monsieur, n’a que 50 ans !

Et cela continue en passant par Goering, Goebbels, et puis un autre et un autre, 40 ans, 45 ans, 50 ans.

    • Tandis qu’en France, Monsieur, vieux ministres, vieux généraux, votre Maréchal, plus de 80 ans !

De toute évidence, une nation ne peut gagner que si elle est commandée par des hommes jeunes … comme chez eux ! Monsieur Lottier a évité de parler d’un certain Clémenceau qui, pourtant, en 1918…

Désarmés, découragés, ils ont quand même bien ri et s’en vont ; ils verront cela à Auxerre ; le brave maire que j’ai connu comme voisin, fut content, bien content !

Quelques jours plus tard, l’officier aborde Monsieur Lottier dans la rue et lui demande si le maire l’autoriserait à assister à la réunion du conseil municipal qui doit avoir lieu prochainement ; le maire courbe les épaules et pense à l’atmosphère de cette séance « d’autant plus qu’à l’ordre du jour il y a l’examen d’une note de la préfecture relative à un salaire journalier de 10 francs à verser aux prisonniers en équipe agricole » ; la délibération risque d’être laborieuse devant un occupant ! Le 16 octobre c’est la réunion, comme d’habitude après le dîner ; l’officier est là, « s ‘assied à la droite du secrétaire, le maire étant à la gauche de celui-ci ; discussion normale des affaires prévues et la voilà posée la question délicate et cet Allemand qui est là ! Astucieux, Monsieur Lottier passe discrètement un petit papier au maire : « si vous nommiez une commission ? » Ca marche, bien sûr, et le maire explique à l’assemblée : affaire sérieuse, nécessité de nommer une commission.

    • Une commission, Messieurs, naturellement, une commission ! Toujours une commission en France ! Et la vôtre nommera une sous-commission ! Eh bien ! En Allemagne il n’y a pas de commission, on discute l’ordre du jour et on prend une décision !

L’officier se lève, reprend casquette et badine, salue, s’en va à grandes bottes, outré. Les conseillers « rigolent » , la réunion continue, et se termine … sans commission !

Monsieur Lottier note que quelques jours plus tard, l’officier lui a conté sa double déception : le conseil municipal ne sait pas prendre une décision, ensuite « parce que, Monsieur , la plupart des conseillers sont venus avec leur vieille casquette, leurs vêtements de travail, en sabots ou en souliers pleins de terre des champs … En Allemagne, Monsieur, quand ils se rendent à une réunion, ils se rasent, mettent une tenue propre et quand on étudie une question, mon père écoute l’avis de chacun, en tient compte, dirige la discussion et décide, lui, parce qu’il est le « bourgmestre ».

mai 2015 – Fragments – Marité G

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