L’Or de la vieille

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23 / 06 / 2015
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L’Or de la vieille

J’étais responsable de la Bourse (celle de Paris, surtout, mais parfois d’autres pays. Je passais mon dimanche à rédiger un petit journal condensant les indications des principaux journaux financiers. J’eus le bonheur et surtout la chance de rédiger quelques bonnes choses, et je me fis des amis au point de recevoir des offres de ce que l’on nomme maintenant « des chasseurs de tête ».

Quelques offres de salaire intéressantes ne me séduisirent pas. Je tenais à mon petit coin, à mes amis et à mes habitudes et demeurait intraitable jusqu’à ma retraite.

Outre la Bourse, j’avais à négocier les matières d’or.

Ce n’est pas le plus facile, car l’or est fragile, malléable, et se déforme facilement, est refusé et alors ne se vend plus qu’au poids de métal à un taux bien inférieur à sa valeur fiduciaire.

Chaque année, vers le 15 janvier, je recevais la visite d’un grand-père, poli mais ferme, m’amenant une douzaine de pièces que l’on appelle écus, napoléons ou même louis, mais dont le nom commercial est « pièce française de 20 francs » Son prix varie en général faiblement, sauf en périodes de crises comme ce fut le cas lors de l’affrontement de Suez en 1956.

Un jour , le bonhomme en verve, et peut-être rendu loquace par un bon vin de la Chaînette (qu’on servait à la table du Roi), me fit cette confidence. Ils avaient (enfants et petits-enfants) une vieille tante à qui ils rendaient quelques menus services. Chaque jour de l’an, ils allaient aussi lui présenter leurs vœux. La cérémonie était immuable : la vieille les enfermait dans une pièce et disparaissait une demi-heure environ. Puis elle reparaissait, les mains chargées de pièce d’or.

De belles pièces, de bon aloi, comme neuves et qui se vendaient sans problème.

(À ce propos, un jour, un client cru bon de passer ses pièces au miror… Elles furent impitoyablement refusées et vendues au poids de métal.)

Tout allait donc bien. Oh, vous verrez, disait la vieille, à ma mort vous serez riches ! Le bas de laine est encore plein !

Un froid premier janvier, ils firent leur fructueuse visite. La cuisinière était froide. La vieille était morte.

Très morte, comme précisait ma fille de neuf ans.

Stupeur, désolation, prostration ! La vieille marchait dans les prairies célestes. On lui fit un bel enterrement.

Où donc était caché l’or, tant espéré, tant convoité ? La bicoque n’étant pas très grande, on fouilla d’abord au hasard, dans la hâte et le désordre, puis avec de la méthode et de la conviction. Figée dans sa mot, la vieille garda le grand silence des défunts.

Tout fut sondé, ausculté, retourné…

à l’époque j’avais pris goût au détecteur de métaux. Je passais des journées traversées par un sens nouveau. Oh, l’objet n’était pas démesuré mais permettait à vingt cinq centimètres sous le sol de distinguer une pièce perdue.

On trouvait de tout, sous la surface : des balles de tout calibre, de toutes sortes et de toutes origines.

À ma connaissance, il n’y avait pas eu de batailles à Saint Georges Perrigny, pourtant le sol regorgeait d’engins à tuer le monde. Balles de plomb, balles de cuivre, mais surtout, traîtres entre toutes, les capsules de bouteilles de bière. Certaines étaient les plus trompeuses : elles se composaient d’un anneau d’aluminium qui servait à ouvrir une languette d’acier qui libérait le précieux liquide. Le fer se distinguait par un crissement caractéristique qui le faisait dédaigner.

Mais l’anneau d’aluminium était imparable. Sa forme et sa son métal convenaient parfaitement à l’appareil.

Que de coups de pieds ! Que de déceptions !

Il y eut pourtant quelques pièces anciennes dont je faisais collection ; Les gens anciens jetaient dans les grottes quelques monnaies propitiatoires, dont certaines inconnues que nous offrîmes au musée d’Avallon.

Malgré mes précautions, on sut que je pratiquais la détection.

Je fus sollicité par les parents de la tante aux écus. Je cherchais toute une journée sans résultats : la vielle avait reçu du ciel une inspiration diabolique. Je découvris seulement, fatiguées et usées, un tas de pièce de 10 francs. Ces grosses monnaies lourds et laides que marchands et acheteurs recevaient avec répugnance. On voulut me récompenser en me les donnant. Je revins chez moi, avec mon détecteur et mon maigre butin.

– On peut acheter avec ? Me demanda ma fille de neuf ans

  • Oui mais décrasse les avant.

Après quelques ablutions, elle fila chez Intermarché et acheta quelques conneries.

Par la suite j’explorai un gué de la Cure, où les gens lançaient des pièces à des fins propitiatoires. Mon appareil n’était pas fait pour l’eau. Son dispositif électronique rendit l’âme. Il s’oxyde dans un coin du grenier de St Moré ; Quant au magot, à ma connaissance, depuis 9 ans il demeure introuvable.

15 juin 2015 – Fragments – Jean Jacques L.

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