Le magnifique

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23 / 06 / 2015
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Le magnifique

C’était un morne jeudi matin. Les élèves se réveillaient doucement dans la grisaille d’une journée d’automne où à neuf heures je n’aurais pas pu jurer que le soleil aller finir par se lever. J’avais moi-même du mal à émerger d’une torpeur cotonneuse. J’étais en train de me demander si, au lieu de lutter contre la léthargie ambiante, il ne valait mieux pas s’y abandonner totalement en lançant un film. J’avais sous le coude « L’organisation du marché de l’énergie dans l’espace européen ». Avec ça, je pouvais parier pour un engourdissement profond de la classe pendant au moins 40 minutes.

Je venais de prendre ma décision quand on frappa à la porte de ma salle. Je n’eus pas le temps de répondre, un surveillant entrait déjà dans ma classe :

  • Madame Poncelet ?

  • Oui ?

  • L’hôpital de Dijon essaye de vous joindre depuis ce matin

Je sursautai en jetant un œil sur mon portable. Il était coupé par souci d’exemplarité. Je l’allumai en panique. Si c’était l’hôpital, c’était grave. Surtout pour qu’ils veuillent me joindre sur mon lieu de travail. Je pensai tout de suite à mes filles. Mon cœur s’accélérait, je sentais mes mains devenir moites. Je lançai rapidement le film, sortis livide, laissant le surveillant avec mes élèves.

Dans le couloir je rappelai le médecin qui m’avait laissé un message. Haletante, la voix tendue, je pus lui souffler :

  • Je suis Mme Poncelet, vous m’avez appelé, qu’est-ce qui se passe ?

  • Oui, bonjour Madame, vous êtes bien la personne de confiance de Cédric Bottier ?

Je restai un moment interdite. J’étais tellement soulagée. J’allai raccrocher sans répondre quand, tout de même, ce nom…mon esprit se remit en route. Oui bien sûr, mon cousin germain, Cédric. Mais pourquoi l’hôpital m’appelait moi.

Mon interlocuteur commençait à perdre patience.

  • Vous êtes la personne de confiance de M. Bottier ? Répéta-il plus sèchement.

Je répondis un « oui » peu sûr de lui.

Il reprit.

  • Il a été victime d’un accident de circulation. Il est dans le coma. Pour l’instant son état est stable mais nous voudrions vous voir pour discuter de sa prise en charge.

  • Vous avez prévenu ses parents ?

  • Non, dans son portefeuille, nous avons trouvé un document vous désignant comme personne de confiance et dans ce cas, nous vous prévenons et nous vous laissons prendre les décisions qui vous semblent adaptées.

Après l’organisation du rattrapage de mes heures de cours, je pus libérer mes élèves pour la fin de journée et le vendredi. Je passai un coup de fil à mon mari et partis. Pendant les deux heures de route qui me séparaient de Dijon, je repensais à Cédric. Ça faisait au moins un an qu’il avait disparu de la circulation. Je n’avais pas été étonnée, c’était une habitude. Un jour, il sonnait à la porte avec une bonne bouteille de vin, il s’asseyait comme si on s’était vu la veille, racontait ses projets débordant d’enthousiasme. On le voyait régulièrement pendant quelques mois puis il disparaissait en changeant de numéro de téléphone et d’adresse e-mail. J’avais dans mon répertoire une bonne dizaine de numéros à son nom. Je ne sais pas pourquoi, je les gardais tous. Je me contentais d’ajouter le plus récent en accolant un numéro à son nom. Je devais en être à Cédric12, de mémoire.

A l’hôpital je le trouvai bandé, intubé, sous perfusion. Ce que je pouvais encore voir de son visage était blême, inexpressif. Pour le médecin, rien n’était sûr, il pouvait sortir du coma sans séquelles ou bien rester à l’état végétatif. Il le saurait en tentant de le réveiller à l’issu du week-end.

En attendant, j’allais devoir demeurer dans cette ville où je ne connaissais personne pour m’héberger. Au bout d’une heure je me levai, ouvris la petite armoire en face du lit. Il y avait là un pull, un pantalon déchiré et un sac à dos. Je n’hésitai pas à le fouiller, j’étais sa personne de confiance, après tout. Dedans, je trouvai un trousseau de clés et son portefeuille avec sa carte d’identité. Elle indiquait une adresse à Dijon. Voilà qui réglait mon problème de logement.

Je le laissai à contrecœur.

Je mis un certain temps à trouver l’impasse dans laquelle Cédric habitait. Je mis mon oreille à la porte de son appartement au quatrième étage d’un immeuble gris. Pas un bruit. J’essayai une à une les clés de son trousseau. La dernière était la bonne. J’entrai dans un salon aménagé de bric et de broc : une étagère branlante Ikea, un bureau fait maison à partir d’un volet et de deux tréteaux. Sur le côté de la pièce se trouvait un lit une place recouvert d’une courtepointe qui devait faire office de canapé et devant lui, une télé grande taille. Au milieu, je reconnus la table aux pieds tournés de notre grand-mère. Je finis ensuite rapidement l’état des lieux. Je découvris une petite chambre avec un lit deux places dans laquelle s’accumulaient des cartons empilés les uns sur les autres. On aurait dit que l’accident l’avait surprit avant son installation définitive. Je revins m’assoir dans le salon. La nuit était tombée depuis longtemps et je me sentis soudain mal à l’aise. J’allumais la télévision. Je sortis un paquet de chips et commençai à grignoter en regardant avec plus d’attention autour de moi.

Posé par terre, face au mur, se trouvait un tableau. Je souris tristement en le reconnaissant. Cédric avait eu des ambitions en peinture vers sa dix-huitième année. Il s’était acheté sur un coup de tête une vingtaine de toiles vierges et s’était essayé consciencieusement à reproduire des paysages variés. Son chef d’œuvre était là devant moi : un bateau représenté par quatre bâtons posé sur une ligne, la mer. Il avait passé une bonne demi-heure à m’expliquer le sens caché de ce dessin. Six mois plus tard, il était passé de la peinture à la guitare avec le même enthousiasme. Au bout de trois mois d’exercice, il écrivait ses chansons et improvisait des mini représentations au milieu de nos réunions de famille. Il avait essayé de se produire dans quelques cafés mais l’accueil avait été des plus froids. Il était passé à autre chose. Ses emballements étaient toujours imprévisibles.

A cette époque, nous étions tous les deux étudiants et j’y croyais encore. J’étais sûre de son talent, je l’encourageais dans tous ses essais. Quand il abandonnait, j’étais déçue. Peut-être plus que lui. Il semblait oublier ses rêves aussi vite qu’ils s’étaient emparés de lui.

A chaque rencontre, il était différent, nouvelle marotte, nouveau métier, nouveau look.

Il avait été laborantin puis avait suivi une formation d’œnologue puis il était passé au statut d’auto entrepreneur. Il espérait alors faire fortune en vendant des produits de beauté bio. A sa demande, j’avais réuni un après-midi une demi-douzaine d’amies. Là, je n’y croyais déjà plus. Je l’avais fait pour lui faire plaisir, en évitant mes connaissances les plus critiques. Il leur avait vanté laborieusement les mérites de ses crèmes, confondant l’hydratation et la régénération, déchiffrant les modes d’emploi en même temps que nous. Je m’étais sentie mal à l’aise pour lui, j’anticipai la suite, une fuite.

Je n’avais ensuite plus entendu parler de lui pendant quelques temps ; il était réapparu, inscrit dans une école d’infirmier et écrivant en parallèle des articles pour le journal local. Il avait à cette époque une trentaine d’année déjà. En découvrant l’écriture, il redécouvrait l’ambition. Le roman français du siècle était à sa portée, il le sentait. Trois mois après, ce projet avait laissé place à un autre. Il était entraîneur d’une équipe de foot junior et il espérait les mener en finale nationale.

Quand il me parlait, je détournais le regard, je ne pouvais même plus faire semblant. J’avais pitié, je crois.

Autour de moi, dans ce salon, je pouvais suivre le cheminement de ses rêves. Sur une étagère se trouvait un vieux synthétiseur. A côte de sa fenêtre, il y avait un télescope. Je distinguai un ballon de volley et des livres de cuisine qui la maintenaient d’aplomb. Encore deux restes de passion. Dans un coin s’entassaient des tissus colorés. Je n’eus pas besoin de m’approcher pour comprendre : des vieux costumes de scène. Cédric avait fait partie d’une troupe de théâtre. Il avait écrit quelques sketches. Personne n’avait voulu les jouer, il avait claqué la porte dépité.

Que n’avait-il pas tenté ? Je regardai avec tristesse ces reliques. J’avais l’impression d’un immense gâchis. Je fermai les yeux un instant. Son image s’imposa à moi. Je le voyais me parler de son envie d’être. Etre acteur, être chanteur, être œnologue, écrivain, footballeur… jamais son désir ne doutait, jamais son enthousiasme ne diminuait. Il était construit de rêves.

Je me levai pour aller me chercher un verre d’eau. Sur la table se trouvait une carte maritime. Il y avait aussi des vieux livres, des récits d’expéditions, des instruments de navigation. Mon vieux Cédric à 45 balais s’imaginait en chercheur de trésor…

Le lendemain je retournai tôt à l’hôpital. J’interpellai une infirmière.

  • Je viens voir M. Bottier, vous savez si son état évolue ?

  • La chambre 543 ?

  • Oui, je crois que c’est ça.

  • Le trauma multiple ? S’assura-t-elle

  • OUI, M. Bottier

  • Et bien, les médecins sont optimistes, il a ouvert les yeux dans la nuit. C’est très bon signe.

Je me précipitai dans sa chambre. Effectivement, il avait les yeux ouverts. Je me sentis incroyablement heureuse. Je lui pris simplement la main en murmurant :

  • Accroche-toi, je veux savoir combien une vie peut nourrir de rêves.

Laure Timon

 

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