Unter den linden (Sous les tilleuls)

post details top
26 / 03 / 2015
post details top

Unter den linden

Il y a fort longtemps, avec mon ami Christian Boblin, nous avions longuement cherché, puis découvert, la grotte Barbe Bleue, la seule à s’ouvrir en face nord du massif d’Arcy.

J’ai conté, dans « l’anneau du Père Abbé, nos longs déboires, puis la mort de mes amis.

Certes, la première partie de la caverne, formée de galeries basses, étroites et complexes nous était accessible, mais le long siphon de 50 m qui donne accès aux galeries hautes et surtout à la salle du lac – la plus vaste du massif – nous restait ignorée.

Elle était connue des seuls frères Méraville. Christian travaillait aux usines Guillet, comme Marc. Leur mort était décidée dans ce sinistre piège. Pas la mienne, j’ai dit pourquoi.

Nous avions longtemps erré dans le lacis des premières galeries avec Christian, cherchant, conjecturant sans résultat ni espoir.

J’avais remarqué, dans une des petites salles supérieures où, en 1956 je fus incarcéré 3 jours, un trou souffleur que je ne compris pas. (Les trous souffleurs ont deux origines : la première doit sa puissance – parfois extrême – à un phénomène de tirage. De l’altitude sépare deux issues avec parfois des différences de température. Dans les cavernes de montagne, l’intensité du mouvement d’air peut ainsi être considérable. La seconde origine est dite « barométrique ». En effet, la masse d’air contenue dans une caverne est stable. Cependant la pression de l’air atmosphérique varie sans cesse, le baromètre en fait état sans relâche. L’air intérieur est aspiré en cas de dépression, ou introduit fortement dans le cas contraire).

Nous venions, en désobstruant le trou souffleur des Goulettes (voir le texte sur la perte des Goulettes) de tirer gloire d’une telle opération. Cependant pour moi, la grotte Barbe Bleue était synonyme de mort et de réclusion. J’étais tenté, mais je n’y allai point.

Sans me prévenir mon fils aîné et un ami s’y rendirent. Le matériel était prêt, l’explosif, d’une confection aisée. On me prévint qu’une galerie s’ouvrait. Je me laissai gagner. Après 20m, elle prenait la direction de la grotte des Fées, dont quelques mois plus tôt, nous avions démontré la relation avec la grotte Barbe Bleue.

Une salle s’ouvrait : à sa voûte de des stalagmites trapues pendaient, avec plus ou moins la forme de la célèbre statue antique qui abrite Remus et Romulus. Je la baptisai, galerie de la Louve.

Ça continuait, mais par un passage bas, gorgé d’argile. Tout le monde s’y employa. Mais je restai prudent, très prudent ; inquiet.

Un téléphone fut tiré depuis l’entrée jusqu’au lieu du travail. Avec pierre Guilloré je restai dehors, toujours hanté par le désir de vivre et la crainte de la réclusion.

À l’intérieur, on travaillait ferme, le téléphone en donnait les bruits d’effort, des interjections bruyantes et des halètements puissants.

Vers les midi, coup de théâtre. La Cure se mit à monter, d’un mouvement lent et inexorable. Le téléphone était là, heureusement. La veille, il parlait juste, il parlait clair.

Là, rien ! Silence ! obstiné silence. Pendant une heure, peut-être deux, nous hurlons comme des damnés, secouons, démontons la boîte. Le « silence éternel de la divinité », dit je ne sais plus qui.

Une idée odieuse, repoussante, exécrable finit par s’imposer. Il fallait y aller !

Oui, retrouver la mort, la réclusion, l’ignoble solitude, des jours des semaines peut-être. Tous étaient là-bas, fragiles, menacés;mon fils aîné était du nombre.

Le cul serré, le cerveau délirant, muni de deux boîtiers électriques (une panne est toujours possible), je pénétrai dans le shéol, comme disent les hébreux, mon attention rivée sur les parois et la montée lente mais inflexible de l’eau. Je connaissais parfaitement le cheminement, la complexité des galeries m’était familière. Le parcours, s’il est connu, n’est pas long. Ça passait ! nom de Dieu, ça passait ! Je me sentis heureux mais brisé. Je pus hurler, cracher mes poumons endoloris. En moins d’une minute tout le chantier était abandonné ; j’étais suivi. Seule comptait la hâte ! J’imposai quelques immobilités, il convenait d’estimer la hauteur de l’eau. Le passage le plus bas était au premier tournant de la galerie d’entrée. Ça passait ! Bon Dieu ça passait !

C’était le premier jour du monde, la Vérité et la Vie. Le soleil rayonnait sur cette flétrissure comme tentant de la purifier à point.

20 mars 2015 – Fragments – Jean Jacques L.

Laissez un commentaire

Rechercher