La pêche au tisonnier

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21 / 02 / 2015
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La pêche au tisonnier et au pique-feu, au pays de George Sand.

C’était en juin 1944. J’avais 7 ans. Ma mère qui venait d’accoucher de Bernard, mon plus jeune frère, débordée par tout le travail que lui donnait ce téteur de biberons et salisseur de couches (pas de Pampers alors…!) m’avait expédié chez ma grand-mère maternelle Camille, à MOULIN DE GARGILESSE, petit hameau de l’Indre au bord de la Creuse, pays de George Sand. Fonctionna dans ce minuscule village, pendant toute la guerre, un moulin à eau pourvoyeur de bonne farine, grâce au travail d’un meunier et de son assistant tout vêtus de blanc, dès huit heures le lundi matin sans interruption aucune jusqu’au samedi quinze heures, les deux ouvriers devant profiter de leurs congés légaux.

A cet endroit, un déversoir barrait la Creuse en biais ce qui amenait l’eau de la rivière à une énorme roue en fer garnie d’impressionnantes pales en bois .Et toute la journée on entendait le TIC TAC de l’eau sur les pales. Du toit du moulin s’échappait par un tuyau de la balle de blé avec un chuintement de locomotive qui se répandait sur tous les toits aux alentours. Le meunier achetait son blé aux paysans de la région et fournissait en bonne farine les boulangeries -pâtisseries de l’Indre et des départements voisins jusqu’à quatre-vingts kilomètres de là, avec un vieux Berliet fatigué, poussif et puant le gaz-oil. Le moulin était bâti à cheval sur une île et le canal de fuite de l’eau de la roue qu’on appelait »la rabine » et que nous nous amusions à traverser à pieds, trempés jusqu’aux genoux, dans le courant encore conséquent , dans une mousse brunâtre, une eau marron car la Creuse venant du massif central était d’origine granitique. C’est ce courant qui animait la gigantesque roue, entraînant avec elle un arbre général mu par un système de courroies qui tirait les meules, les tamis qui permettaient que se fasse le blutage, la séparation de la farine et du son.

Des particuliers, des parisiens en quête de provisions rares à l’époque, venaient s’approvisionner en farine, en son pour les cochons, en balles d’avoine pour les chevaux. Bref, un va-et-vient continuel agitait le hameau où flottait une fade odeur de farine, où les toits se couvraient de balle grise et jaunâtre, piquante sous la main.

Bref, à 15h. pile , le samedi, le meunier abaissait la  » pelle »de la vanne et le moulin privé d’eau, s’arrêtait net. Une impression de SILENCE s’installait, totalement inhabituelle mais d’ un silence curieux que l’on savait provisoire . Un signal…car à ce moment précis les sauvageons du hameau dont j’étais, s’élançaient vers le moulin , en bottes, chacun muni d’un grand seau et un tisonnier à la main. Le meunier à l’aide d’un long grillage barrait alors la rabine. Les poissons, pendant la semaine, l’avaient remontée pour chercher sous la roue l’eau la plus oxygénée, la plus fraîche aussi. Bloqués par le grillage, accumulés, ils se débattaient, se tortillaient cherchant à échapper au piège et nous, à grands renforts de cris et de coups de pique-feu ,nous pourchassions chevesnes, truites ,tanches , barbillons ( les chaboisseaux) que nous jetions pêle-mêle dans nos récipients, toutes tailles et variétés confondues..

Une petite heure plus tard, nos seaux à demi pleins, trempés des pieds à la tête, nous regagnions nos logis, fiers de notre pêche. J’apportais la mienne à ma grand-mère qui s’esclaffait que j’allais encore lui faire dépenser une huile rare et trop chère pour bien peu. Elle me préparait quelques petits poissons avec réticence, en portait en cadeau un peu à sa voisine et allait en nourrir les poules qui , elles, adoraient ! Ensuite Camille grommelait qu’il lui fallait me changer, s’occuper de mon linge sali, bon à laver, sécher, repasser, du travail quoi dont elle se serait bien passée jusqu’au samedi suivant !!

Le meunier, veuf, a encore bon pied bon œil dans sa maison de retraite. Je l’ai revu à un repas d’anciens du village, il m’a reconnu et nous avons ri des pêches au tisonnier. Bons souvenirs ma foi. Mon ancien instituteur, lui, se rappelle peu de moi. Nous étions six gamins dans le hameau et nous faisions des concours à qui ferait le mieux enrager les parents ou grands-parents. Des petits sauvages prêts à toutes les sottises, et pour ce genre de bêtises destinées à faire enrager les adultes nous n’étions jamais en panne d’invention. Donc suite au prochain numéro avec les galopins du village, en bord de Creuse, dans les « brandes » de la campagne chères à George SAND.

19février 2015 – Fragments – Philippe Monnot

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