La bique au bouc

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20 / 11 / 2014
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J’avais 14 ans et j’étais bon marcheur. Dans la ferme des voisins il y avait une chèvre, Zézette, dont j’étais l’ami et le compagnon.

Muni d’une forte chaîne d’une douzaine de mètres, j’accompagnais Zézette le long des haies dont elle était friande. C’était une compagnie, une amie parfois têtue au sens propre du mot. Quelle joie de la voir grappiller, de l’entendre broyer une pomme avec d’incroyables bruits masticatoires.

De cette entente on finit par me confier une tâche que je n’aurais jamais oser imaginer . Les moyens de transport étaient rares et peu usités : alors on me confia la chèvre pour la mener au bouc à Charentenay.

Charentenay était distant de 5 ou 6 kilomètres, j’étais jeune, j’avais les jambes solides, Zézette aussi , l’aventure serait tentée. Muni d’un casse-croûte et d’une gourde de piquette, j’empoignai vigoureusement la chaîne et pris hardiment la route de Charentenay. Zézette allait d’un bon pas, s’attardant à peine aux prunelles et aux fleurs de cytise qui ornaient le chemin. Se doutait-elle d’une heureuse issue à cette grande promenade insolite ? Il est permis de tout imaginer. J’étais déjà venu et trouvais le chemin sans difficultés . On me complimenta : j’avais fait le chemin en une heure trente et je fus largement abreuvé de piquette.

Zézette fut présentée à son fiancé. Mon rôle s’arrêta là.

Monsieur le Curé, sans doute consulté avait donné des ordres formels et il n’était pas question que j’assiste aux ébats de Zézette. Je m’enfermai dans une grange et me consolai en lisant Graziella de Lamartine que j’avais apporté à tout hasard. Le temps me sembla long, sans doute moins à la chèvre. Après un casse croûte il fallut envisager le retour. Quel changement ! Quelle transformation ! Zézette avait perdu la vigueur de ses pattes. Tire donc sur 6 kilomètres une chèvre fatiguée par le chemin et l’amour et vous comprendrez ma souffrance et ma lenteur. J’essayais les exhortations, les caresses et pour finir les coups de trique. Rien n’y fit, ou avec quelle pesanteur ! Sur la fin c’est moi qui halais le tout, en pensant que tout allait finir au creux d’un fossé. Enfin retentirent les cloches de Courson et apparut son clocher. Seul un verre de ratafia me rendit mes jambes.

À quelques mois de ça je demandai des nouvelles de Zézette.

  • Viens voir, me dit-on.

Sa peau séchait, clouée sur la porte d’une grange. L’enfantement lui avait été fatal.

Pauvre Zézette ! Tant de chemin ne l’avait menée qu’à la tombe…

17 novembre 2014 – Fragments – Jean Jacques L.

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