Une vie dans les mains

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02 / 10 / 2014
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Ce matin, à proximité de la cuisine, assise, seule près de la table qui attend les légumes à éplucher, dans la salle de restaurant encore déserte, me vient l’idée toute simple, un peu saugrenue, de regarder mes mains alors inactives ; je pense au «  travail » que je vais accomplir aujourd’hui, m’interrogeant sur l’outil qui me servira : des souvenirs ? Des gestes ? Des mots ? Des idées ? Ou simplement mes mains que je trouve banales et cependant utiles.

Des mains comme nous en avons tous ; elles ont été douces, roses et potelées semblables à celles des jeunes enfants ; elles ont connu le froid et les engelures mordantes de l’hiver 40, frotté du linge, rincé des lessives dans les ruisseaux, passé la serpillière, le balai et le chiffon ; elles savent peler les pommes depuis longtemps, elles ont enfourné des tartes, des rôtis, des gratins, pétri de la pâte et découpé des ronds de toutes grandeurs avec des verres ; elles ont satisfait des appétits gourmands ; elles ont fait sauter des crêpes et brûler du caramel ; parfois maladroites, elles ont cassé des tasses ou assiettes empilées à la hâte.

Elles ont caressé des frimousses tristounettes, consolé des chagrins, essuyé des larmes , soigné des corps douloureux ; elles ont travaillé l’argile pour réaliser quelques objets fantaisistes ; elles se sont exercées à la couture et au tricot avec la fierté de réalisations uniques en leur genre ; elles ont aimé manier le pinceau, jouer avec les couleurs en comprenant qu’elles n’étaient pas vraiment des artistes.

Mains de jardinière, elles ont touché, remué, gratté la terre, manipulé la pioche, la bêche et le râteau , semé des graines avec la conviction de beaux lendemains fleuris ; elles ont transporté les lourds arrosoirs de zinc remplis d’eau qu’il fallait pomper avec les bras ; elles ont fouillé le sol pour trouver les petites pommes de terre nouvelles qu’on rôtissait avec la peau ; elles ont récolté les haricots et les fraises, groseilles et framboises, cerises et prunes qui sont devenues confitures, coupé les asperges à la pousse rapide ; elles ont cueilli les pommes à croquer et le raisin doré ; elles ont connu la joie et la peine de la vendange, cassé les sarments secs pour allumer le feu de bois qui les réchauffait ; elles ont taillé les rosiers et la treille, détruit le lierre envahissant avec le sécateur finement aiguisé.

Mains professionnelles, tenant et guidant les petites mains hésitantes et crispées sur leur premier cahier, mains poudrées et crevassées qui, à la craie, ont fait courir les mots sur le tableau noir sans cesse effacé ; mains qui ont écrit à la plume et à l’encre, au stylo et ont adopté le clavier de l’ordinateur ; mains tremblantes de peur quand l’orage menace d’être violent ou que le risque devient danger ; mains généreuses tendues pour donner et recevoir ; mains qu’on agite pour prolonger un au revoir le plus longtemps possible, mains chargées de baisers qui se perdent jusqu’à l’horizon.

Mains des bravos enthousiastes, mains devenues poings fermés, serrés au fond des poches quand la colère risque d’éclater et d’engendrer la violence ; mains aux doigts noueux lents à s’ouvrir, aux veines saillantes et bleuies, à la peau fanée, desséchée.

Mains encore solides d’une arrière-grand-mère heureuse de pouvoir serrer contre son cœur de joyeux « petitous ». Ces mains garderont-elles assez de fermeté pour exprimer leur affection à tous ceux qui les serreront ?

Septembre 2014 – Fragments – Marité G.

1 Commentaire

  • michèle

    J’aime beaucoup ! Mais soudain j’ai un doute: pourquoi vouloir écrire alors que d’autre le font si bien!!!
    Si :je sais, c’est juste pour vous rencontrer!!!

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