La Boutique

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15 / 07 / 2014
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La Boutique

 

La boutique

ses joies, ses richesses, ses tentations

La Boutique ancienne

S’il y a un endroit de notre vieille maison dont je garde un souvenir précis c’est bien celui de « la boutique ». D’ailleurs, aujourd’hui, ce qui est devenu « un séjour » s’appelle toujours pour nous, pour nos enfants et petits-enfants : « LA BOUTIQUE » !

Sur la rue, trois marches, une porte haute et large qui autrefois n’était pas vitrée ; on pouvait découvrir des plaques métalliques souvent émaillées ou peintes et bien vissées ; elles servaient de pub : réclame de bouillon kub ou de poule au pot, chocolat Menier, dentifrice Colgate, savonnette Cadum, papier à cigarettes, javel la Croix etc…

Quand on ouvrait la porte, une petite cloche se faisait entendre de loin, ce qui permettait à mes parents, à ma mère surtout, d’arriver assez vite de la cour ou de la cuisine pour accueillir les clients ; certains n’aimaient pas attendre ; tous, des gens du village , des femmes principalement, des gamins aux heures de rentrée ou de sortie de l’école.

Au dessus de la porte une enseigne au nom de Dumont qui recouvrait les lettres anciennes inscrites dans la pierre au nom de « Dumont-Benoist » (mes ancêtres lointains) ; de chaque côté de la porte deux fenêtres toujours existantes qui servaient de vitrines, l’une pour les bocaux de bonbons, ô combien attirants, l’autre pour quelques nouveautés qui variaient selon la saison : chapeau de soleil ou casquettes chaudes à rabats, espadrilles ou charentaises, quelques articles de bonneterie, des petits objets pas chers qui prétendaient être des bijoux !

Dès l’entrée dans la boutique, le client était toujours étonné de voir l’énorme quantité de marchandises entassées en si peu de place ; d’ailleurs il ne fallait pas qu’il y ait trop d’acheteurs au même moment ; trois rayonnages de la hauteur et de la longueur des murs et devant,trois comptoirs aux affectations différentes ; on venait à l’épicerie, à la mercerie, ou aux tissus et la confection. J’ai en mémoire les odeurs mêlées du café, des fromages, du chocolat, des gâteaux et du savon qui se dégageaient dans la pièce ; les murs en ont été imprégnés pendant près d’un siècle ! Le rayon épicerie m’intéressait plus particulièrement ; l’alignement des bocaux de bonbons aux couleurs vives, quel décor ! Les petits Moulin à café de Comptoircaramels mous à « deux pour un sou », les caramels au lait, les pastilles au miel, les bonbons acidulés orange citron, bonbons au coquelicot, valdas, bourgeons de sapin, rouleaux de zan, bâtons de réglisse, sucettes, sucres d’orge, berlingots, chewing-gum qui partaient à l’école dans la bouche des gamins et que l’instituteur faisait cracher avant l’entrée dans la classe ! Au moment des fêtes, Noël ou Pâques, les crottes de chocolat à la crème ou au praliné, les bonbons fondants, les poules, lapins et poissons d’avril trônaient dans la boutique ; que de tentations surtout quand notre mère était obligée de s’absenter pour une visite ou un enterrement qui durait plus longtemps que prévu.Sur les rayons, les boîtes de conserve : petits pois, haricots,sardines , pilchards, pâtés…tout était bien empilé ; quel beau jeu de construction ! De la farine, du sucre, des plaques de chocolat, des pâtes que l’on vendait aussi au détail, comme le sucre cristallisé ou même le café ; on trouvait les sacs d’emballage dans les grands tiroirs, sous le comptoir, là où parfois le chat venait dormir et se laissait enfermer ; le tiroir-caisse était à proximité ; on le croyait inaccessible !

Sur le comptoir, la grosse balance Roberval avec ses deux plateaux brillants et la gamme de poids en fonte de 5kg à 1hg,Roberval 1 la petite balance et son casier de poids en laiton qui convenait pour la pesée des bonbons ou du gruyère râpé, car parfois, à la demande de la cliente, il fallait râper le morceau de fromage avec le petit moulin spécial fiRoberval 2xé au comptoir ; quelquefois, on devait moudre le café avec le gros moulin dont nous aimions tourner la manivelle ou actionner la roue comme s’il s’agissait d’un volant de voiture. Les pesées n’avaient plus de secret pour moi ; j’aimais manipuler les poids et servir les clients sous le regard de ma mère qui m’apprenait aussi à rendre la monnaie, mieux qu’à l’école avec ses faux billets et ses pièces en carton ! C’était plus difficile de mesurer un demi litre d’huile, même un quart de litre avec les mesures en étain ; l’huile et le vinaigre se conservaient dans des bonbonnes de dix litres lourdes à manipuler.

Il arrivait qu’une cliente fauchée ou un enfant envoyé par sa mère demande de « payer demain » ou « quand ma mère aura des sous » ; alors on écrivait cela dans le grand livre noir ; il y a encore des dettes non remboursées dans nos mémoires et  « le grand livre noir ».

Certaines clientes, peu pressées, s’attardaient, accoudées au comptoir, pour papoter avec d’autres;on se donnait des nouvelles du pays : naissances, mariages, décès, suicides manqués, potins de voisinage, accidents, aventures amoureuses dont certains étaient friands . Ah ! Si les murs pouvaient parler et redire tout ce qu’ils ont enregistré !

La tâche de mon père à la boutique était surtout du côté des tissus et de la confection ; il manipulait les pièces de toile très lourde et inusable destinée souvent au trousseau des filles qui allaient se marier ; les pantalons et vestes de croisé bleu convenaient aux cultivateurs pour la saison d’été ; le velours côtelé correspondait à l’hiver et à la saison de chasse ;fils les vestes des chasseurs se fermaient avec des boutons métalliques couleur bronze décorés de silhouettes d’animaux sauvages ; on pouvait les acheter au détail au rayon mercerie. Les boutons ! Des merveilles fixées sur des cartons et classés par grosseur, couleur et selon leur emploi : boutons de nacre aux reflets mordorés, boutons de culotte, boutons métalliques, boutons-pression, le tout dans des boîtes cartonnées qui s’empilaient dans les rayons ; ajoutez-y les boîtes de coton à repriser, du blanc pour la lingerie, du noir pour les bas, du cachou pour les chaussettes des hommesbobines, parfois du gris ou du bleu foncé ; et les petites pelotes ou cartes de laine St Pierre rangées en dégradés de rouge, vert, bleu, jaune… comme les cotons perlés ou mercerisés utilisés en broderie ; quel plaisir de toucher, présenter, classer, ranger après le passage des clientes indécises dans leur choix ; et les bobines de fil à machine, le fil « au Chinois », du blanc , du noir, du gros, du fin ; imaginez le casse-tête quand il fallait « se farcir » les invenboutonstaires !

A tout cela s’ajoutaient les rouleaux de rubans variés en couleur et largeur et même le tricolore pour les gerbes du 11 novembre ou quelques cérémonies de la municipalité ; les couturières pouvaient trouver à la boutique, toutes sortes de dentelles ; je prenais plaisir à tout mesurer avec le demi-mètre en bois, gradué en centimètres, décimètres ; mes connaissances en mesures se confirmaient ! Après la vente, l’heure des comptes arrivait ; pas d’ordinateur, pas de calculatrice ! Mon père n’en avait pas besoin ; fort en calcul mental , il épatait ses clients et avait souvent fini ses comptes avant mon crayon et mes additions ou multiplications ! A la fin de la journée, on « relevait la caisse » ; selon le résultat des ventes, ma mère faisait quelques réflexions ; « je n’ai pas fait grand chose aujourd’hui » « j’ai bien travaillé, je suis contente » »j’ai une grosse commande à livrer demain » «  Madame T. n’a encore pas payé ses dettes ». Elle ne les paiera jamais…

Je prends conscience aujourd’hui de la somme de travail réalisé par mes parents et de tous leurs soucis quotidiens ; leur commerce à « la boutique » ou « en tournées » les a usés ; leurs conditions de vie n’étaient pas les nôtres ; je m’incline avec beaucoup de reconnaissance. Merci à eux !

juillet 2014 – Fragments – Marité G.

 

 

1 Commentaire

  • Pezennec Denise

    Tu sais Marité combien de souvenirs d’enfance tu as éveillés en moi. Nous avons grandi dans un cadre presque identique.J’aime la précision de ta description, l’organisaqtion des lieux, les couleurs, les senteurs, les objets disparus aujourd’hui. Toujours le même plaisir à te lire. Ne t’arrête pas là.

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