La Concierge se trouve dans l’escalier

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25 / 06 / 2014
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La Concierge se trouve dans l’escalier 

 

C’est la pancarte qu’on voyait habituellement accrochée sur sa porte vitrée.

En effet, chaque jour absente de sa loge, elle s’en allait frotter avec un chiffon chaque marche de bois qui menait aux quatre étages de mon vieil immeuble du XXème arrondissent de Paris. Elle nettoyait « au miror » toutes les parties cuivrées de la rampe avec une application maladive, penchée sur l’objet, prête à l’embrasser. Cela dénotait une bien sombre manie et ce n’était pas la seule.

Au cours de son ascension dans l’escalier, je lui connaissais encore une sale occupation. Elle écoutait aux portes des appartements. Elle ne pouvait s’empêcher de coller son oreille contre le bois, ou bien plaçait son œil devant les serrures pour percevoir quelques indiscrétions qui lui serviraient plus tard, espérant trouver un projet à son tic de s’informer.

Encore très jeune, j’avais l’habitude d’entrer dans sa loge, car elle était sensée me garder quelques heures après ma sortie de l’école, avant que mes parents rentrent du travail. J’avais remarqué un grand fouillis, un bel entassement d’objets hétéroclites, des moulins à poivre, des pots, toutes sortes de cafetières, même des babioles qui ne rimaient à rien, accumulées dans tous les recoins de la maison de manière obsessionnelle. Aucune trace de poussière ne s’attachait à troubler cet ordre psychotique.

D’où lui venait cet état d’esprit envahi par des idées fixes ? d’une maladie ?

Mes parents qui la connaissaient dénommaient cela des « fixettes », ou encore des « marottes », mais ne pouvaient agir autrement que me confier à elle dans ces temps difficiles que nous vivions.

Au cours de ses explorations maniaques, elle montrait aussi la bien étrange folie de vouloir s’infiltrer dans la vie des locataires. Un fâcheux et agaçant délire qui permettait qu’elle raconte et colporte ce qui se déroulait chez les gens à tel point que certains se brouillaient rien que sur ses racontars sournois. C’est sûrement cette surexcitation désordonnée de la pensée et ses débordements qui la rendaient dangereuse. Certaines personnes la soupçonnaient même de pouvoir lire du courrier avant de le distribuer dans les boîtes. Il n’a jamais été possible de la prendre sur le fait : seul le doute…

Le matin, elle sortait les poubelles et, tout en balayant le trottoir devant l’entrée, elle discutait volontiers avec les passants. Elle désirait paraître aimable, agréable, prête à rendre service. Mais connaissant son comportement dans l’immeuble, mon père et ma mère pensaient qu’il ne fallait surtout pas se fier à son air affable et décontracté.

En fait, c’est à partir de cette période que j’aurais dû me méfier d’elle et de ses manies.

Un matin où j’étais déjà parti pour l’école, avant que mes parents ne quittent la maison pour se rendre à leur travail, elle était venu frapper très fort à notre porte, et presque en hurlant elle s’était plainte de moi, prétextant que j’avais cassé un vase de valeur et que la veille, dans son antre, je lui avais répondu d’une manière tout à fait irrespectueuse. Mon père l’avait calmée et s’était proposé de la dédommager pour l’objet détérioré. Bien sûr, à mon retour, interrogé, j’avais nié l’histoire du pot de fleurs et encore plus le fait d’impolitesse. Par contre j’avais claironné dans tout le bâtiment, à qui voulait l’entendre, que les manies de la concierge risquaient de faire beaucoup de mal à la communauté des locataires.

À la suite de cet incident, pour fuir l’ambiance détestable qui s’était établie, ma famille avait trouvé un autre logement. Beaucoup plus tard, ayant atteint l’âge adulte, j’avais appris que pendant le dernier conflit, entre 1940 et 1945, cette horrible mégère avait dénoncé une bonne quantité de personnes aux autorités occupantes. À la Libération, elle avait eu la tête tondue. Elle avait été jugée et emprisonnée pour de longues années.

Tout ceci pourrait prouver qu’il faut rester vigilant vis à vis des personnes qui manifestent des manies de toute sorte et encore plus actuellement où, comme le dit Monsieur Pierre Perret, « la Bête est de retour ».

mai 2014 – Orteil d’Or – Peter B.

 

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