Trois Vénus à Venise

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11 / 10 / 2013
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La granda nave emprunte le canal San-Marco. Du paquebot géant, une étrange jeune femme ignore la vue qui s’offre à elle et dédaigne les banderoles NO GRANDI NAVI des manifestants. A la nuit tombante elle descend à terre puis elle prend le vaporetto. Ses chaussures fines ne supporteraient pas les dalles irrégulières de la Sérénissime. Elle ne veut pas abimer sa belle robe de satin bleu-vert dans les ruelles obscures remplies de détritus. Ni se faire voler la chaine d’or suspendue à son cou. Le palais des Doges a fermé ses portes et chassé tous les touristes. Maintenant elle va pouvoir enfin voir ce pourquoi elle est venue. Le portrait que Tiziano a fait d’elle, la Venere. Le peintre l’a convaincue de poser nue dans son palais d’Urbino en l’absence de son mari et avec la complicité de ses servantes. Elle se souvient qu’il fallait le regarder constamment. Elle se souvient quand il lui a glissé un bouquet de roses dans une main et fait poser l’autre sur son sexe. Le rouge lui monte encore aux joues en y pensant. Dans le musée désert elle sent soudain une présence et se demande si d’autres fantômes n’hantent pas les lieux. D’instinct elle se recule et voit apparaître une autre femme juchée sur de petits escarpins noirs. Son petit visage est carré et son menton pointu, une fleur est à son oreille et un petit collier noir est noué autour du cou, un corsage échancré et un jupon l’habillent. Elle se met à siffler bruyamment de joie.« Tu es Olympia » entend-elle murmurer. Les deux modèles perçoivent derrière elles un bruit de pas. Un personnage étonnant apparait. Il s’agit d’une femme torse nu couleur camaïeu d’incarnat, son visage porte un masque d’Afrique. Son corps est déformé, géométrique, une main derrière la nuque, l’autre tenant une tranche de pastèque. A leurs questions elle répond qu’elle est une demoiselle d’Avignon et qu’elle est le point de départ du cubisme. Silvio le gardien qui a abusé du prosecco se frotte les yeux hébété. Personne ne croira jamais à son histoire.

11 octobre 2013 – Nouvelles – Didier Laurens

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