Gare Auxerre Saint Gervais : 18 heures…

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26 / 09 / 2012
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Gare Auxerre Saint Gervais : 18 heures…

J’attends seule dans le passage, bousculée presque renversée. Je m’étais mise là exprès pour qu’ils me voient mais, y a pas! Je suis bien comme cette horloge percée par le soleil, résolument transparente. Je change d’endroit, il y fait froid. Les places sont vides. J’entends un crissement strident et, déjà, évoluent autour de moi des personnes étranges, vues pour la première fois. Certaines me lancent des regards sombres que je préfère à ceux trop pâles des passants sans saveur ni odeur.

 Pas d’inquiétude, c’est marqué, engagé, aujourd’hui « tous sont à l’heure », je vais composter. J’entends un bruit…ce n’est pas lui, tout juste une dame aux dents pourries.

 C’est à moi de jouer. Allez ma grande, tu ne vas pas te dégonfler ! C’est pas facile c’est vrai mais dans la vie, il faut faire des choix et trouver sa voie. Un joli cliquetis suivi d’un grand boum, pour moi ce sera…un Orangina ! J’ai vaincu la machine c’est un premier signe !

 Des amoureux pour de faux mais « inspirés de faits réels » sur l’affiche, me narguent. Je veux leur dire : « même pas mal ! Des amours bidon, j’en ai toute une collection ! » Mais pour parler avec quelqu’un des trains qui ne sont pas en retard et tirer mon gamin aux joues rosies de froid, par la main, c’est une autre histoire…

 Se réchauffer, voilà l’idée ! Mon pantalon en peau de bête n’y suffit plus. Ce qu’il me faut c’est la brasserie, elle est ici, c’est le picto qui le dit. Mon sac en bandoulière, un regard jeté aux portes vitrées pour vérifier l’ordre de mes cheveux noirs, comme je le fais toujours depuis qu’ils sont courts, la teinte de mon rouge à lèvre tranchée, et je suis partie. Mes bruits de talons résonnent dans le hall de la gare, juste quelques pas : je suis arrivée. Et pour le réconfort, ben c’est râpé. Le radiateur bien qu’imposant est défaillant. Plus l’espace est grand plus il semble vide, surtout lorsqu’il l’est vraiment. Le rouge, le vert, le gris de cet endroit et c’est gagné, j’ai la nausée.

 Une averse, un second signe, je le crois. Et soudain, banco, je le vois, je les vois. Ils sont là, tous deux, côte à côte, comme identiques, assis sur la banquette en simili cuir vert. Ils détonnent dans cet endroit faussement branché aux grandes ambitions mais aux petits moyens, du Valérie Damidot à coup sûr, son appartement témoin.

 C’est bon, j’ai déjà repéré les lieux. Par les toilettes qui donnent sur le quai, une fuite est possible. D’abord agir et puis, si les choses tournent mal, prendre le premier train. Le prochain est à 19h20, cela me laisse juste le temps. Le compte à rebours est lancé : 10 loupiotes rouges en haut du comptoir, 9 bouteilles de sirop, 8 tables en plastique imitation bois, 7 femmes aux poses lascives sur 7 tableaux pour la déco, 6 saladiers rouges retournés en guise de suspension, 5 clients assis, 4 machines à pression, 3 percolateurs, 2 miroirs, 1 ours en peluche sur le bar plus tard, et il m’a vu l’approcher.

 Cela tourne en boucle dans ma tête et de plus en plus fort : « Je l’adore, je le veux, j’en ai besoin, il me le faut tout de suite, vite, vite. » Dans ses yeux je lis la peur, et sa femme collée à lui, la ressent aussi. Elle le porte sur elle, je prends cela pour une provocation. Elle voit mon regard de feu, de folle ! Ce n’est pas personnel et elle l’a bien compris. Elle sait, elle sent que je vais le lui prendre, mieux : elle est d’accord. Aussi sans broncher ni se débattre, elle me le laisse et je m’en empare, je le lui arrache, le lui vole, le lui tire ! Ça y est, il est à moi ! Je m’y blottis, m’y engouffre, m’y plonge pour ne plus m’en abstraire. Nous fusionnons, et elle renonce. Je jouis, et me délecte définitivement de son hideux, mais très, très chaud …

blouson orange à gros carreaux !

15 mai 2012 – textes courts – Clarime de Brou

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