Il est venu souvent…

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09 / 06 / 2012
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Il est venu souvent dans mes rêves d’enfant.

Je voyais s’approcher son cheval fatigué, LUI marchait à son côté, le corps avalé par un grand capuchon, les mains croisées sur les rênes de cuir. Une ébauche de sourire courait sur son visage, ses lèvres s’étiraient puis s’ouvraient sur des paroles réconfortantes: «Je suis là, mon enfant. Tu peux dormir tranquille, je veille sur ta couche, rien ne peut t’arriver.» Il est souvent venu chasser les cauchemars qui hantaient mon sommeil. Je sentais sa chaude présence . Je lui contais tout de ma vie d’écolière: le déroulement de mes journées, l’école, les devoirs, les bonnes notes, les mauvaises aussi. Je glissais à son oreille les poèmes appris, les problèmes incompris, les jeux sous le préau, la marelle tracée sur le sol de la cour, les cailloux trop pointus à mes genoux écorchés.

Il venait toujours accompagné de son ami , mon ami le cheval qui ressemblait tant au percheron qu’abritait l’écurie de la ferme où je passais mes vacances d’été. Jamais IL n’a manqué au rendez-vous des veilles de contrôles et d’examens. Mes doigts entrelacés dans sa barbe frisée , je puisais la confiance nécessaire; la crainte de l’échec, la peur de la copie ratée , sous mes paupières lourdes s’enfuyaient aussitôt.

 

J’ai grandi avec toujours le même goût pour les rêves, les histoires inventées à voix basse, à vivre sur l’oreiller dans la douceur ouatée d’un gros édredon rouge. J’ai tu à mes amies comme à mes parents ce grand-père attentif, tendre et doux. Ils auraient voulu savoir d’où il venait, de quel album vieilli j’avais sorti son image fanée. Ils n’auraient rien compris à cette bizarre amitié d’une gamine, d’un vieillard « irréel » et d’un cheval fatigué. Ils auraient craint pour la santé et la raison de leur précieux rejeton, condamné un excès d’imagination , désamorcé le songe, allumé des veilleuses pour me soustraire au noir de la nuit, au sommeil les yeux grand ouverts.

 

L’âge adulte est venu. Lui, IL est resté , vainqueur du temps qui passe , sans une ride supplémentaire, toujours fidèle, engrangeant mon vécu, mes amours , mes réussites et apaisant mes peines. L’étrange équipage ne m’a jamais manqué.

 

Ce soir, je l’attends. Je l’ai invité, convoqué presque au chevet de la très vieille dame que je suis devenue. Au chevet de la malade étalée sur son lit d’hôpital dépourvu de toute couette profonde et moelleuse. Je l’attends, les yeux pâles dans leur orbite creuse. Je l’attends. J’ai des sensations à lui confier, des douleurs à partager, des craintes à tuer, une peur énorme à tenter de définir et expliquer . Je l’attends…. Comme IL tarde…M’abandonnerait-IL maintenant ? Pourquoi ? J’aurais tant besoin de son souffle chaud sur mon corps transi…tant besoin du réconfort de leur double présence, mon vieil ami, son vieux cheval ! ILS sont venus si souvent. Ne m’ont jamais oubliée. Pourquoi ce soir justement, à l’heure ultime , n’y a-t-il plus personne ?

 13 mars 2012 – Textes courts – Denise Pezennec

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